French Morning : Les médias donnent-ils une image fidèle de ce qui se passe sur le terrain ?
Ernest Barthélemy : Il y a des vérités et des mensonges qui circulent. On a l’impression que les médias cherchent à divertir en nous montrant en boucle des images de bébés se faisant soigner, et oublient les problèmes importants. Cela rend les Haïtiens mal à l’aise. Il faut garder à l’esprit qu’Haïti était déjà un pays très pauvre avant le séisme. Il y avait de nombreux problèmes sociaux, politiques, économiques et bien sûr sanitaires. Sur le front des maladies infectieuses, la situation a toujours été très grave. L’infrastructure était déjà fragile. Certes, le séisme a accentué ces problèmes-là mais les survivants s’accrochent à l’espoir. Ils se débrouillent. C’est un trait de caractère essentiel des Haïtiens. A Port-au-Prince, même si les gens dorment dehors, on a l’impression en leur parlant que rien de vraiment grave ne s’est produit. Ils sourient, discutent. Je ne prétends pas qu’il n’y a pas eu de catastrophe, mais les Haïtiens ont une force d’esprit incroyable. D’origine haïtienne et connaissant la culture et l’histoire du pays, cela ne m’étonne pas du tout.
FM : L’aide est-elle distribuée efficacement ?
EB : Je me suis rendu dans une antenne de l’OMS à Port-au-Prince. Les secours là-bas étaient très bien organisés. Nous y avons également vu des militaires de tous les pays. C’était très touchant. Néanmoins, ils font toujours face à beaucoup de difficultés: On ne peut pas se déplacer la nuit à cause du manque d’électricité, la peur des répliques et la violence qui a suivi l’évasion de nombreux prisonniers. La communication reste un problème : soit on peut appeler mais pas recevoir d’appels, soit c’est l’inverse.
FM : Le secrétaire d’Etat français à la coopération a accusé les Etats-Unis d’occupation d’Haïti après le détournement par l’armée américaine d’un avion français transportant un hôpital de campagne. Quel est votre ressenti ?
EB : Je n’ai pas eu le sentiment que les Etats-Unis occupaient Haïti. A l’aéroport Toussaint Louverture, il n’y a pas beaucoup d’espace. Même les avions en provenance des Etats-Unis ont du mal à atterrir. Par exemple, pour mon prochain voyage en Haïti (Ernest Barthélemy doit repartir cette semaine, ndlr), j’ai du mal à avoir une idée précise de ma date de départ : Un jour, on me dit qu’un ou deux avions partiront mercredi, mais qu’il faut attendre le feu vert d’une autre équipe qui doit partir le même jour. Puis, quand on se rend à Miami, on découvre finalement que le départ n’aura pas lieu faute de place à l’aéroport Toussaint Louverture. Et c’est toujours comme ça.
FM : Les médias ont parlé de pillages. Est-ce une problème répandu?
EB : J’en ai entendu parler sur la radio haïtienne. Il me semble que cela se produit surtout la nuit. La sécurité a toujours été un problème en Haïti. A chaque fois que j’y suis allé, mon père me disait toujours qu’à mon arrivée à l’aéroport Toussaint Louverture, si quelqu’un me demandait où j’allais, je devais répondre « à l’hôtel X ou Y » a Pétion-Ville alors qu’en réalité, j’allais ailleurs, chez ma famille. La nuit, il fallait toujours faire attention parce que l’électricité était précaire. Ce sont des choses auxquelles les Haïtiens sont habitués. Aujourd’hui, les médias en font un spectacle.
FM : Combien de temps faudra-t-il selon vous pour reconstruire Haïti?
EB : Il faut d’abord définir ce qu’on veut dire par « reconstruction »: on parle de transformer un pays ravagé en un pays pauvre. Même en partant de l’Haïti d’avant, cela aurait pris des années pour rattraper les autres pays. J’ai peur que les médias, malgré ce que j’ai pu dire sur eux, laissent tomber Haïti. Après tout, le monde a ignoré Haïti pendant des années, il peut l’oublier à nouveau demain.
FM : Sur le long terme, quelque chose de positif peut-il sortir de cette catastrophe pour Haïti ?
EB : L’intérêt international ne peut qu’être positif mais le futur d’Haïti dépendra de l’implication des pays étrangers. Il faudra une sorte de néo-colonialisme pour qu’Haïti se redresse : des pays étrangers devront rester sur place pendant longtemps. Je parle en particulier des Etats-Unis et de la France, qui pourraient former un partenariat pour aider Haïti. Etant donné l’histoire des Haïtiens, on aurait du mal à accepter l’aide des Américains seuls pour s’en sortir.
Pour plus d’infos sur le voyage d’Ernest Barthélemy, cliquer sur son blog http://moncheminmedical.unblog.fr/
Propos recueillis par Alexis Buisson