Catherine Lamy décrit sans détour son visage bouffi, la perte de ses cheveux « à la pelle » et son hirsutisme facial. C’était en 2018 à New York, la veille de son opération. Elle souffrait d’hypertension et de sautes d’humeur qui « rendaient la vie très difficile », pour elle et pour son entourage. La Française, expatriée depuis plus de dix ans, partage volontiers des photos pour faire comprendre à son interlocuteur combien la maladie a bouleversé son corps. Elle a été diagnostiquée d’un cancer rarissime, le cancer surrénal -ou, en termes scientifiques, corticosurrénalome ou encore Adrenocortical Carcinoma (ACC)- qui touche une à deux personnes sur un million dans le monde chaque année. Et pour Catherine Lamy, la journée internationale des maladies rares (Rare Disease Day), ce jeudi 29 février, est l’occasion de mieux faire connaître ce cancer et de lancer un appel en faveur de la recherche.
Hasard du calendrier, Amy Schumer a annoncé il y a quelques jours avoir été diagnostiquée du syndrome de Cushing, une maladie hormonale rare (10 à 12 patients pour un million) causée par un excès de cortisol dans l’organisme, sécrétée par les glandes surrénales. C’est cette hormone (dite du stress) qui fait gonfler le visage des malades et prendre du poids sans modification du régime alimentaire. L’humoriste américaine avait subi une avalanche de moqueries sur les réseaux sociaux au sujet de son apparence physique, l’encourageant finalement à consulter un médecin. Un peu comme comme Catherine Lamy : c’est une petite phrase lancée par une amie – « tu devrais faire attention à ton alimentation » – qui lui a fait prendre conscience que « quelque chose n’allait pas et que ça se voyait ». Le syndrome de Cushing est souvent la première étape des patients atteints d’ACC, les symptômes sont les mêmes avant la découverte de leur cancer. Pour Amy Schumer, après de multiples examens, aucune tumeur n’a été décelée, la maladie est rare mais réversible. Ça n’a pas été le cas de Catherine Lamy.
Quand elle a commencé à voir son corps se transformer, Catherine Lamy n’avait 49 ans. « Quand tu as l’habitude de faire attention à ton image, c’est dur », reconnaît-elle. Avant de venir aux États-Unis il y a plus de 20 ans,, elle travaillait dans la mode chez de grandes maisons de couture avant de travailler dans l’édition puis d’enseigner le français. Les premiers symptômes ont été assimilés à ceux de la préménopause. Les médecins ne semblaient pas chercher plus loin, « un ORL m’a même conseillé de boire moins de café et de moins parler au téléphone avec mes copines pour régler mon problème de voix – qui devenait anormalement grave avec le dérèglement hormonal. C’est elle, constatant notamment une pilosité abondante et embarrassante, qui a demandé à tester son taux de testostérone. Un taux qui s’est avéré très élevé, plus élevé même que celui de son mari.
Catherine Lamy a dû batailler pour obtenir rapidement un rendez-vous avec un endocrinologue à New York sans passer par les trois mois d’attente qu’on lui annonçait. Par chance – si on peut dire -, un endocrinologue de sa ville de Long Island connaissait le syndrome de Cushing et a élargi les examens. C’est un scan qui a révélé la présence de deux tumeurs (de 7 cm et 4 cm), une sur chaque glande surrénale. Ces glandes, situées au dessus des reins, produisent les hormones qui aident à réguler le métabolisme. Une endocrinologue réputée de New York, la professeure Alice Levine, a alors pris le relais et lui a parlé de la possibilité d’un cancer surrénal.
Les choses sont alors allées très vite : opération, biopsie confirmant que la première tumeur était cancéreuse, deuxième opération pour ôter la deuxième tumeur, chimiothérapie consistant en la prise de pilules de Mitotane, un médicament contenant un dérivé du… DDT -un pesticide cancéreux. C’est le seul traitement qui existe à ce jour, le même depuis les années 1950 – avec les effets secondaires lourds. « L’avantage c’est qu’on garde ses cheveux, sourit Catherine Lamy, mais on ressent une très grande fatigue, on a du mal à manger. C’est un traitement très débilitant mais heureusement qu’il existe, sinon nous n’aurions rien du tout. C’est la seule façon qu’on a trouvée aujourd’hui pour attaquer tout ce qui peut rester de cellules des surrénales dans le système lymphatique, et éviter de créer des métastases. » Elle évoque très rapidement avoir pensé ne pas s’en sortir – les mots d’adieu à ses enfants étaient écrits, mais Catherine Lamy ne semble avoir pensé qu’à une chose durant ces cinq dernières années : se battre contre la maladie.
Aujourd’hui, elle a arrêté le Mitotane et est en rémission. Son sourire en dit long sur le chemin parcouru. « Tu as vraiment intérêt à te battre, être ton avocat pour tout, parce-que tu te trouves face à un tas de médecins qui ne veulent pas croire en tes symptômes », constate-t-elle. Elle a fondé en janvier 2021, avec une autre patiente rencontrée sur Facebook, Sandra Bouarroudj, l’association Let’s Cure ACC, la seule « créée par des patients pour les patients » et qui existe à ce jour sur cette maladie rare, afin d’aider les malades et leurs proches à trouver les bonnes informations et de les mettre en contact avec les experts médicaux.
Les deux associées reçoivent des messages de partout dans le monde. Elles se sont fait connaître au 8e symposium international sur le cancer surrénal en 2021 et, depuis, les plus grands experts leur envoient des résultats d’études à relire. L’Institut National de la Santé (NIH) aux États-Unis (dont on a beaucoup entendu parlé durant la pandémie de covid) a reconnu leur association.
Le site est désormais en sept langues « car il est important, estime Catherine Lamy, de trouver les informations et le vocabulaire dans sa langue ». Des versions japonaise, polonaise et turque sont en préparation mais les fondatrices manquent d’argent pour couvrir le coût de la traduction scientifique. « On est toujours à courir après les sous car notre site est entièrement gratuit. C’est ainsi qu’on l’a voulu ». S’abonner ne coûte que 1 euro. Catherine Lamy en appelle aujourd’hui à la générosité. « Si des personnes ont envie d’aider une association consacrée à une maladie rare, toute donation est bienvenue pour que l’on puisse proposer d’autres langues aux malades. »
Let’s Cure ACC, le site ici. Pour contacter Catherine Lamy ou Sandra Bouarroudj, écrire à [email protected]