Il semble que la fondation d’art Catharsis soit née non pas du fruit du hasard, mais de celui de la complicité. Une complicité portée par une fibre commune pour un art qui s’ancre dans l’histoire, dans la vie, et qui « lutte contre l’obscurantisme » selon l’artiste Prune Nourry. Basée à New York depuis 15 ans, naviguant entre son atelier de Paris et celui de Brooklyn, c‘est elle qui a lancé cette fondation en 2024, avec la connivence de l’entrepreneur franco-togolo-américain Claude Grunitzky.
Celui-ci souligne la « coïncidence de cette rencontre » qui passe tout d’abord, en 2014, par la découverte, selon ses mots, de « l’œuvre majeure, extraordinaire de force, de Prune : Terracotta Daughters ». Une œuvre inspirée par l’armée de terre cuite de la ville de Xi’an (210–209 av. J.-C.), en Chine, qui questionne la politique nataliste contemporaine du pays avec ses 108 sculptures de filles. Claude Grunitzky ne connaît pas encore l’artiste, mais il sent un écho puissant entre cette œuvre et son propre chemin. Avec Trace, le magazine qu’il a co-fondé en 1998, et True, l’agence qu’il co-dirige avec Richard Wayner, il poursuit la même « quête de sens et d’égalité raciale » que l’artiste française.
Alors, quand, en 2023, l’occasion d’une rencontre se présente, à New York, l’entente est immédiate. Sous les auspices de Lucien Zayan, fondateur du centre culturel Invisible Dog qui organise un dîner d’amis « triés sur le volet », Prune Nourry et Claude Grunitzky se « trouvent ». Au milieu des convives, ils entament une conversation sans fin et font le souhait de travailler ensemble. Quelques mois plus tard, l’artiste crée la Catharsis Art Foundation qui matérialise leur quête commune, et demande à son nouveau comparse d’en être le président. Claude Grunitzky confie : « Prune Nourry est la créatrice, la figure de proue et moi le chef d’orchestre, celui qui identifie et fédère les talents ».
Commence alors la construction de l’organisation, que ses membres veulent agile, en perpétuelle évolution pour s’adapter aux projets. L’idée est de concevoir ces projets au travers desquels Prune Nourry transmet son savoir, sa technique, sa capacité de recherche, son regard et permet à des communautés de faire une œuvre collective imprégnée de sens, qui fait bouger les consciences. Les projets sont donc au cœur du système.
Les expériences portées par la fondation sont collaboratives à de nombreux points de vue. Tout d’abord dans la méthode de travail de la fondation, puisque le projet fédère de nombreux intervenants, mais aussi avec les personnes impliquées dans les projets eux-mêmes, avec lesquelles l’artiste souhaite « créer un lien sur le long terme ».
« Statues Also Breathe », initié en 2022, est le premier projet officiel de Catharsis. Il est emblématique de l’action de la fondation puisqu’il naît de la collaboration entre l’artiste et l’Université Obafemi-Awolowo d’Ifè, au Nigéria, et qu’il implique les familles des 276 lycéennes enlevées par Boko Haram à Chibok, en 2014. Au travers d’un workshop avec des étudiants en beaux arts de l’université, Prune Nourry s’inspire des têtes sacrées des royaumes yoruba du XIIᵉ au XVᵉ siècle et propose des têtes en argile, sorte de gabarit, que 108 étudiants vont travailler, sculpter, modifier, de sorte qu’elles prennent les traits des jeunes filles disparues.
Mais, ce projet ne s’arrête pas là. La fondation veut puiser dans ces collaborations artistiques pour tisser des liens durables et bénéfiques avec leurs acteurs. Elle met en place des réseaux de soutien aux jeunes femmes qui ont réussi a échapper à Boko Haram. Des coordinatrices de terrain sont missionnées par Catharsis pour aider ces jeunes femmes, dans la poursuite de leurs études par exemple. Les coordinatrices elles-mêmes se construisent, au travers de leurs missions, elles acquièrent une forme de leadership. L’ensemble de ces femmes sont intégrées dans l’écosystème de Catharsis. La fondation a pour objectif de les accompagner, parfois financièrement, de leur proposer des workshops qui leur permettent de gagner en estime de soi, de s’émanciper et de peut-être devenir des activistes.
Quant aux œuvres collectives issues des projets, elles ont vocation à être déplacées lors d’awareness tours. À l’exemple de l’exposition « Statues Also Breathe » qui aura lieu au Museum of African Contemporary Art Al Maaden (MACAAL) de Marrakesh. Ainsi, les objets issus des expériences qui prennent racines dans des contextes géographiques, historiques et sociaux spécifiques, sont amenés à voyager pour être présentés à d’autres publics, dans d’autres lieux où leur réception sera différente.
Prune Nourry développe : « Il y a un éclairage différent selon les endroits où l’on montre le projet, c’est ça qui est intéressant, cela change de perspective sur un même sujet selon l’endroit où on le montre. Cela permet aussi de nourrir le débat et de l’élargir, tout en gardant toujours les racines, par exemple en faisant voyager des professeurs de cette université avec lesquels on a collaboré pendant ce tour, en faisant aussi voyager des filles de Tchibok, qui sont maintenant des femmes. » Le voyage de ces projets permet de faire comprendre les traumatismes, mais aussi de donner aux œuvres une existence autonome à long terme. La directrice générale de la fondation, Elisalex d’Albis, abonde : « Le but de Catharsis, c’est aussi de trouver un musée qui accueille l’œuvre ad vitam aeternam ».
La fondation est, depuis un an, en résidence à l’Atelier Jolie, à New York. L’évidence de cette ville, pour cette première étape, tient à l’opportunité du lieu et au fait que Claude Grunitzky, comme plusieurs membres du board, sont New-Yorkais, mais aussi, aux yeux de Prune Nourry « parce que c’est une ville de transculturalisme », une notion qui leur est chère à tous les deux. Une ville qui, peut-être plus qu’une autre, permettra de faire converger des projets internationaux.
Pendant la résidence, Catharsis propose deux expositions par an ainsi que des rencontres, des concerts, des échanges qui permettent de nourrir la phase de recherche, la mise en place des projets ou de les diffuser, comme avec « Strand for Women » qui a été exposé dans la galerie de l’Atelier Jolie jusqu’en avril dernier. Le mardi 13 mai, Ekow Eshun, Enuma Okoro et Tschabalala Self seront en conversation autour de Claude Grunitzky.
Outre son implication dans la fondation Catharsis, Prune Nourry est une artiste très sollicitée, elle expose son projet Venus jusqu’au dimanche 21 septembre prochain au musée Paul Éluard de la ville de Saint Denis. Ces Vénus dionysiennes seront aussi installées en 2026 dans la gare Saint-Denis – Pleyel, imaginée avec l’architecte Kengo Kuma, dans le cadre du Grand Paris Express. Enfin, elle prépare une exposition personnelle qui aura lieu au Petit Palais, à Paris, courant 2026.
Dans l’actualité immédiate, l’artiste new-yorkaise d’adoption reçoit, jeudi 8 mai, le Prix Charles de Ferry de Fontnouvelle au Gala du Lycée Français de New York. Ce prix récompense des personnalités qui incarnent la mission de l’établissement : « Former des citoyens de culture et de courage, ouverts sur le monde et engagés pour améliorer la vie des autres. » Dans un effort de visibilité de la fondation Catharsis, elle a décidé de faire don de Margret #7 au Lycée français. Il s’agit d’une tête en bronze issue des sculptures de référence de la série « Statues Also Breathe » qui sera vendue aux enchères, lors du gala, au profit du « programme d’aides financières sur critères sociaux-économiques » développé par le lycée.
« The Catharsis Art Foundation », en résidence à l’Atelier Jolie, 57 Great Jones Street. Jusqu’en décembre 2026.