Tout a commencé par la commande d’un article sur l’histoire du cassoulet. La journaliste Sylvie Bigar, spécialiste voyages et gastronomie à New York pour de nombreux journaux américains (Washington Post, New York Times…) se rend en France, à Carcassonne, pour écrire sur l’Académie universelle du cassoulet. Reportage classique, rien d’extraordinaire à priori. « Je pensais qu’en une semaine, ce serait emballé », se souvient-elle. Sauf que, sur place, c’est le choc. À la première bouchée, « je suis devenue complètement obsédée par ce plat, sans savoir pourquoi. Ce voyage a changé ma vie. »
C’est cette incroyable aventure gastronomique et émotionnelle que l’auteure propose dans « Cassoulet Confessions: Food, France, Family, and the Stew That Saved My Soul » (« Confessions de cassoulet : nourriture, France, famille et le ragoût qui m’a sauvé l’âme ») qui vient de paraître aux éditions Hardie Grant Books. Un livre drôle et tendre dans lequel s’entremêlent deux histoires, celle d’un plat typique du Sud-Ouest et celle, intime et personnelle, d’une enfance compliquée. À travers ces deux récits, Sylvie Bigar nous emporte dans le monde inconnu des gardiens d’une des recettes de notre patrimoine culinaire les mieux gardées de France et sur la voie de la découverte de soi, des racines les plus enfouies.
Le chemin fut long pour Sylvie Bigar, et elle le raconte avec beaucoup d’autodérision et d’humour. Il lui a d’abord fallu revenir en Occitanie pour apprendre à cuisiner avec le « Pape du cassoulet », le chef Eric Garcia (un pseudonyme, pour respecter la vie privée du cuisinier), véritable personnage de roman à la fois « cuisinier, poète et philosophe ». C’est à ses côtés que la « petite Américaine » comme il la surnomme, apprend à cuisiner de A à Z. « Il n’y avait pas une poudre, raconte-t-elle à French Morning, pas un colorant qui ne soient fait maison. »
Après sa longue initiation, Sylvie Bigar a dû également s’isoler pour écrire, dans une maison d’écrivains, La Muse, dans la Montagne Noire. Et c’est dans le silence des lieux qu’elle a commencé « à creuser sous la croute », le couvercle qui enfermait ses souvenirs d’enfance s’est alors soulevé. La grande propriété familiale de Genève aux arbres centenaires du jardin ayant appartenu à Charles Bonnet, botaniste ami de Voltaire. Sa famille : son père, dandy rigide baigné de nostalgie des années fastes de la Côte d’Azur; sa mère, passionnée de littérature aux racines juives, brisée par la mort de son frère dans le Vercors en 1944 – héros du futur roman sur lequel travaille Sylvie Bigar; et ses trois sœurs de 8, 10 et 12 ans ses aînées, dont le départ de la maison la laissera grandir en fille unique.
Dysfonctionnements, secrets de famille, tabous, sentiment de trahison… tout explose à la mémoire. « J’ai réalisé que tout était une question de contraires et de contradictions », explique Sylvie Bigar. Entre son éducation bourgeoise suisse et la culture de ce chef du Sud-Ouest, entre la salle-à-manger austère de son enfance, « aussi conviviale qu’une coquette morgue » écrit-elle, et celle, chaleureuse, de la famille Garcia – la scène du petit-déjeuner avec le dernier de la famille, à peine âgé de 5 ans, dévorant son cassoulet, un verre de vin rouge en guise de bol de chocolat chaud, est savoureuse. « J’ai grandi dans une famille où on ne mangeait pas de haricots, presque pas de porc, une maison bourgeoise au bord du lac. J’ai réalisé que cette obsession m’était venue en fait – sans dévoiler la fin du livre – de très loin. »
Un livre sans prétention, qui évoque ce que toute personne vivant loin de son pays d’origine ressent très fortement : le besoin de savoir d’où l’on vient. « J’avais envie de transmettre cette France profonde. J’avais envie que les Américains y aillent, qu’ils découvrent autre chose que la Provence, Paris et la Riviera. » Envie également que les Français retrouvent, comme elle, le goût de cette France authentique. « Je pense que les Français sont très attachés à leurs traditions, et surtout au niveau culinaire. On a tous envie d’un bon cassoulet, d’une bonne choucroute, d’un bœuf bourguignon. Ce sont nos racines. »
À la fin de son livre, Sylvie Bigar révèle plusieurs recettes de cassoulet : trois qui forment la Trinité du cassoulet – celle de Toulouse, de Castelnaudary et de Carcassonne, une recette personnelle, une autre de cassoulet express, « quand on n’a pas deux ou trois jours pour cuisiner », mise au point avec son amie experte culinaire Marion Sultan. Et enfin une recette « surprise ». Un ouvrage écrit en anglais, « car étant à New York depuis 40 ans, j’écris en anglais. Mais je rêve qu’il soit traduit en français. » La maison d’édition y travaille. En attendant, le livre vient de sortir aux États-Unis et se dévore d’une traite. Un ouvrage qui, pour reprendre les mots du chef Dominique Ansel, « nourrit l’esprit, l’âme et l’estomac ».