Pendant six ans, Antonin Artaud a écrit à “l’amour parfait, céleste”, l’actrice Génica Athanasiou. Des lettres où il parle de son amour, de sa folie, de sa souffrance. De ces mots, Carole Bouquet a fait un spectacle, présenté à l’automne dernier au Théâtre de l’Atelier, celui-là même où Antonin Artaud et sa muse se sont rencontrés. Le 24 février, elle sera au FIAF (French Institute Alliance Française) pour une représentation unique.
French Morning: Vous voilà à New York pour une seule représentation. C’est votre première fois ici?
Carole Bouquet: Oui c’est la première fois que j’y fais un spectacle, mais je connais bien. Je viens souvent et j’ai même vécu ici pendant un an. J’avais 20 ans et j’étais venue pour tourner un film avec le chanteur punk Richard Hell (“Blank Generation”) et j’y suis restée pendant un an. C’était en 1977, une époque très intéressante à New York. Depuis j’y reviens souvent, deux ou trois fois par an, toujours avec une exaltation particulière.
Ce spectacle est une lecture, un exercice particulier, différent du théâtre. C’est quelque chose qui vous intéresse particulièrement, une manière différente de vous adresser au public?
Ce n’est pas l’exercice en lui-même qui m’intéresse, ce sont les textes d’Artaud. Des lettres écrites entre 24 et 30 ans, toujours adressées à la même femme. Je ne pouvais pas en faire un spectacle sans les dénaturer. Mais en même temps, c’est devenu un spectacle, un moment que je partage avec le public. Au départ, j’ai essayé de me tenir à distance, de respecter ces lettres, qui ont un rythme très particulier, qui sont faites pour être lues à haute voix, mais en fait il faut bien prendre la responsabilité, imposer votre propre vision. J’aime cet homme qu’est Antonin Artaud, et ces lettres, et j’essaie de transmettre cet amour.
Votre “rencontre” avec Artaud date de quand?
Du conservatoire, où comme tout le monde j’ai étudié “Le théâtre et son double”. Mais en réalité, ce n’est pas ça qui m’a fait aimer, car à l’époquer je n’y avais pas compris grand chose. C’est bien plus tard que j’ai compris l’importance d’Artaud et de son oeuvre. Et puis il y a ce vieux recueil de lettres, publié dans les années 1950, qu’on m’a offert. Je gardais ce trésor et un jour j’ai eu envie de le partager. Depuis les gens le redécouvrent: l’ouvrage est épuisé, mais je vais tenter de convaincre Gallimard de le republier. Pour l’instant, j’en suis à prêter mon exemplaire à Normal Sup ou à Sciences Po parce qu’il est introuvable…
Antonin Artaud est d’abord connu du public pour sa folie. C’est aussi ce qui vous intéresse chez lui?
Elle est indissociable de ce qu’il est et de son oeuvre. Il s’est emparé de sa difficulté à communiquer, il a décortiqué sa douleur, il en parle très bien. Mais malheureusement, sa folie, son internement, ont occulté son oeuvre. Les gens ont vu les photos de lui halluciné, ont entendu des enregistrements radiophoniques inquiétants, et ils ont peur. Il fout les jetons! Mais il faut oser s’en approcher pour le découvrir. Et l’aimer!
Lettres à Genica, le 24 février à 8 pm. Florence Gould Hall. VOIR ICI.