Tout est en mouvement avec Camille de Galbert. Ses sculptures, ses dessins à l’encre noire, son corps. Pas étonnant pour une ancienne danseuse du Merce Cunningham Studio qui, suite à une blessure au genou, a choisi de s’exprimer autrement. L’artiste française, qui expose pour la première fois en solo au centre d’art The Invisible Dog à Brooklyn, a trouvé dans les blocs de cire de quoi exercer la force de ses bras graciles. « Ce qu’il y a de génial avec la cire – une matière liquide quand elle est chauffée – c’est qu’elle est imprévisible, explique-t-elle. Vous ne savez jamais comment ça va finir ».
L’exposition « Growing Matter / Camille de Galbert » présente plus d’une vingtaine d’œuvres, posées sobrement sur des socles de bois ou accrochées aux murs, au rez-de-chaussée de ce qui fut autrefois une ancienne usine de ceintures et de bijoux fantaisie de Boerum Hill. The Invisible Dog – du nom d’un accessoire qui fit fureur aux États-Unis dans les années 1980 et inventé par le propriétaire des lieux, Frank DeFalco : une laisse rigide pour chien destinée à être promenée sans l’animal – est resté dans son jus depuis sa création par Lucien Zayan il y a 15 ans. Les matériaux du bâtiment – le bois et la brique – se superposent à la cire des œuvres et se répondent.
C’est dans son studio situé aux étages supérieurs, là où résident 22 autres artistes comme elle, que Camille de Galbert peaufine sa maîtrise de la matière. Armée de son heat gun – pistolet à air chaud – , elle laisse les gouttes de cire se former, couler et s’allonger vers le sol, telles des stalactites. « C’est comme la sédimentation. Je ne réduis pas la cire, je la fais grandir. C’est en faisant des couches et des couches et des couches que la cire grossit ». Elle ajoute des pigments de couleur, et de la résine pour la solidification. « Je change ensuite la gravité de sens » dit-elle en retournant le bloc encore tiède, de manière à diriger les concrétions vers le ciel avant de les presser entre ses mains puissantes. Un geste « patient, répétitif, cumulatif », souligne dans un texte l’écrivaine Céline Malraux à propos du travail de Camille de Galbert, « un rapport charnel à la matière où l’urgence du geste côtoie l’imprévisibilité du medium ».
L’urgence est partout dans la vie de Camille de Galbert. Dans le calme de son studio donnant sur le pommier du petit jardin, son temps de travail est compté : il commence tous les jours à 9am et finit à 4:30pm, les heures d’entrée et de sortie des écoles de ses trois enfants. Une contrainte temporelle qui lui confère cette impression de femme pressée, habitée d’une frénésie créative, entre deux routines de la vie familiale. Un quotidien qui exige l’endurance et la discipline d’une danseuse.
L’exposition est co-produite par l’Institut français-Alliance française (le FIAF) de New York et la galerie Krief à Paris, précise Lucien Zayan, qui a su tisser, en 15 ans, des liens avec près d’une centaine de mécènes et avec les grands centres d’art new-yorkais. « On collabore avec quasiment toutes les institution de la ville, dit-il. Ça crée des réseaux, des familles d’artistes… » Une exposition à voir jusqu’au dimanche 15 octobre et un lieu à fréquenter régulièrement, rien que pour y boire une tasse de thé – autre geste patient – avec Camille de Galbert et d’autres artistes lors des « cérémonies traditionnelles » organisées dans la tea room de l’artiste japonais Takao Shiraishi, au milieu du jardin (la prochaine sera en novembre).
Growing Matter / Camille de Galbert, The Invisible Dog, 51 Bergen Street, Brooklyn. Jusqu’au 15 octobre. Site ici.