Broadway est indissociable de New York. Mais jusqu’à présent, le quartier artistique n’avait pas de musée dédié. Julie Boardman et Diane Nicoletti, deux amies qui se sont rencontrées sur les bancs de l’université, ont décidé de rectifier ce non-sens historique.
Retardé par la pandémie qui a mis tout le secteur à genoux, le Museum of Broadway a enfin ouvert ses portes à la fin d’année dernière à côté du Lyceum Theater, une institution de la 45e rue, pour le plus grand plaisir des fans de musicals et de théâtre du monde entier. Les fondatrices espèrent qu’ils profiteront d’un spectacle pour découvrir cette nouvelle adresse. Entre la musique omniprésente, les installations visuelles et l’app qui propose une visite en français, même les cancres en anglais y trouveront leur compte.
« Quand Julie m’a fait remarquer qu’il n’y avait pas de musée de ce genre, on s’est dit que c’était quelque chose qu’il fallait inventer. Que ce soit nous ou quelqu’un d’autre, peu importe, mais cela se devait d’exister ! », explique Diane Nicoletti, qui a fait carrière dans le marketing expérientiel.
Le résultat est une immersion musicale et visuelle dans l’histoire de Broadway, des premiers spectacles jusqu’aux shows d’aujourd’hui. La première pièce de la visite donne le « la »: c’est une salle décorée d’affiches de musicals et d’œuvres de théâtres actuels (Book of Mormon, Wicked, Death of a Salesman…). Elles sont équipées de code QR pour réserver des tickets.
Le personnel nous invite ensuite à prendre place dans une salle obscure, pour visionner un court film retraçant l’histoire du quartier. Certains seront surpris d’apprendre que celui-ci n’a pas toujours été près de Times Square. À ses origines, la scène artistique était concentrée dans le sud de Manhattan, autour du Financial District. Elle est « montée » à mesure que la population new-yorkaise a grandi, pour élire domicile autour de la 42e rue, une zone mal famée « nettoyée » par les maires successifs dans les années 1980 et 1990.
Le musée est organisé chronologiquement. Il commence par les origines du monde du divertissement new-yorkais, au XVIIIe siècle, et l’influence importante des dramaturges européens (George Bernard Shaw, Oscar Wilde…). En suivant la fresque qui se déploie sur plusieurs étages, le visiteur voit le Broadway moderne prendre forme. Il traverse des univers variés, racontant successivement les histoires de 500 œuvres marquantes: Show Boat (1927), Porgy and Bess (1935), Le Fantôme de l’opéra (1986), Hamilton (2015)… Le tout ponctué de décors immersifs et interactifs pour la photo Instagram de rigueur (un champ de maïs évoquant Oklahoma !, le bar des Jets de West Side Story…).
Guerres mondiales, 11-Septembre, Covid : le musée raconte aussi comment Broadway a été touchée par les grands événements du XXe et XXIe siècle. Ainsi, une pièce entière est-elle consacrée aux ravages du Sida, qui a décimé la communauté artistique dans les années 1980. « On se rendait aux répétitions et, avant qu’on en arrive aux avant-premières, des amis et collègues avaient disparu. Certains tombaient malade et allaient à l’hôpital. Certains en sortaient, d’autres non », peut-on lire sur un texte collé au mur.
On a tout particulièrement aimé les nombreux costumes originaux qui ponctuent l’itinéraire, comme une tenue portée par Lin-Manuel Miranda dans Hamilton, un manteau des Jets dans West Side Story (ci-dessus), les vêtements extrêmement soignés de personnages du Fantôme de l’opéra ou encore une robe issue de Cats… Ce n’est pas tous les jours qu’on peut les voir d’aussi près. Ils ont été donnés par des compagnies de production, des sociétés de locations, des théâtres, des artistes… « On a entendu beaucoup d’histoires de costumes laissés dans des salles de stockage qui finissent par être vidées. C’est triste », raconte Julie Boardman, qui est aussi productrice de musicals et de pièces de théâtre primés.
En plus des habits, d’autres éléments retiennent l’attention : une partition manuscrite de Richard Rodgers, le célèbre compositeur américain à qui l’on doit quelques-uns des plus grands musicals (Oklahoma !, South Pacific, The Sound of Music…), une marionnette et des masques du Roi Lion… « Cela fait cinq ans que nous travaillons sur le musée. Au début, quand nous demandions des accessoires ou des costumes, c’était difficile d’en obtenir, mais cela est devenu plus facile à mesure que le projet est devenu réalité, reprend Julie Boardman. Beaucoup de gens sont enthousiastes à l’idée de faire partie de l’aventure ! »
Le clou du spectacle, ou en tout cas l’un de ses moments forts, se trouve au rez-de-chaussée : une salle reproduisant les coulisses d’un théâtre (avec piano, câbles, console technique…). On y découvre des interviews sur le travail des petites mains de Broadway – les stage hands (électriciens, menuisiers, charpentiers…), éclairagistes, metteurs en scène, chorégraphes, producteurs, attachés de presse… – à travers des textes explicatifs et entretiens filmés. « Ce sont des professions que personne ne connaît sauf si on travaille dans ce milieu, poursuit Julie Boardman. Le public adore Broadway, que ce soit les pièces de théâtre ou les musicals, mais ne sait pas comment ça marche. Cela montre aux plus jeunes qui veulent rejoindre la communauté qu’ils n’ont pas besoin d’être des acteurs. Il y a plein d’autres professions en dehors de la scène qui permettent de faire partie de cet univers ».
Museum of Broadway, 145 W 45th St, New York, Site