Tout semble aller pour le mieux à bord du Dubaï-Paris d’European Airlines. Dans le cockpit, les pilotes s’apprêtent à manger tandis que les hôtesses s’assurent que les passagers restent à leur siège à l’approche d’une zone de turbulences. Un passager se lève. Les enregistrements des conversations dans le cockpit se mettent à grésiller. Panique à bord. L’avion s’écrase dans les Alpes sans que l’on sache pourquoi.
Ainsi commence le nouveau film du Français Yann Gozlan, « Boîte noire », un thriller aérien avec Pierre Niney, Lou de Laâge et André Dussollier sorti le vendredi 29 avril à New York (Village East by Angelika) et qui sortira le 6 mai à Los Angeles (Laemmle Glendale). Le premier joue le rôle de Mathieu Vasseur, un brillant acousticien du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA), l’organisme responsable en France de faire la lumière sur les circonstances des crashes d’avion. Il est notamment chargé de faire parler la boîte noire de l’appareil, qui contient les enregistrements du son dans le cockpit et les données techniques issues des instruments de vol. Mais en se penchant dans les enregistrements avec son ouïe ultra-fine, il découvre que les raisons du crash sont plus complexes qu’il ne le pensait. Sa quête de vérité vire au complotisme, voire à la paranoïa, du moins dans les yeux de son entourage. Suspendu, il se lance dans sa propre enquête pour élucider le mystère.
Pour les amateurs de thrillers aériens comme « Flight » (un pilote ivre qui sauve presque tous ses passagers d’une mort assurée dans un avion en chute libre) ou encore « Sully » (l’histoire vraie du vol 1549 d’US Airways qui a amerri sur l’Hudson en 2009), « Boîte noire » est un passage obligé. Fin et réaliste, il donne à voir une facette méconnue des crashes d’avion. Au lieu de se concentrer sur les pilotes ou les passagers voire les aiguilleurs du ciel et les familles (comme « Aftermath », sur un père qui cherche à identifier l’aiguilleur du ciel responsable de l’accident aérien qui a tué sa fille), il met en lumière le travail de fourmi des enquêteurs qui reconstituent les dernières minutes du vol. « L’aviation civile est un univers fascinant qui rassemble des acteurs – pilotes, compagnies aériennes, enquêteurs – aux intérêts contradictoires. C’est un microcosme qu’on montre peu dans les films de catastrophe aérienne. C’est une arène de film originale où du conflit, de la dramaturgie peuvent surgir », souligne Yann Gozlan.
Nommé à cinq reprises aux César en 2021, le film a nécessité des années de travail pour le Français, à qui l’on doit « Un homme idéal » (avec Pierre Niney déjà) et « Burn out ». Il a travaillé de concert avec le BEA dans l’écriture du scénario et lors du tournage pour faire une fiction aussi réaliste que possible, allant jusqu’à filmer dans le laboratoire de l’organisme au Bourget où les boîtes noires sont traditionnellement ouvertes.
Lors de ses immersions dans cette agence gouvernementale réputée dans le monde de l’aviation civile pour sa compétence, il a relevé le language, les codes et les gestes utilisés par les enquêteurs. Pierre Niney aussi a passé du temps sur place pour préparer son rôle. Lors d’une visite, l’acteur a rencontré un membre du BEA au profil très similaire au personnage de Mathieu Vasseur, un jeune homme dévoué à son travail, peu à l’aise en société. L’artiste aurait demandé à le filmer pour étudier ses expressions et ses mouvements devant son poste de travail.
En outre, le BEA a mis à disposition de Yann Gozlan les transcripts d’enregistrements et des vidéos d’ouvertures de boîtes noires (qui sont en réalité oranges pour être facilement identifiables), notamment celle du Rio-Paris d’Air France qui a plongé dans l’Atlantique en 2009 avec 228 âmes à bord. Ce processus secret, en présence de plusieurs acteurs concernés par l’incident, peut durer des heures dans la vraie vie. Dans le film, il ne fait que quelques minutes. Mais la scène, qui revêt des allures d’opération à cœur ouvert ou d’autopsie, est assurément l’un des moments forts de l’œuvre. « Je crois que l’ouverture de boîtes noires n’a jamais vraiment été montrée dans un film, observe Yann Gozlan. La boîte noire est un objet fantasmagorique. Dès qu’il y un crash, les journalistes nous en parlent, sans qu’on sache trop à quelle réalité elles correspondent. On ne sait même pas à quoi elles ressemblent. Je voulais mettre cet objet au centre d’une histoire d’enquête ».
À la manière du « Chant du Loup », un film d’action centré, lui, sur l’« oreille d’or » qui analyse les bruits extérieurs dans les sous-marins pour identifier d’éventuelles menaces, le son occupe une partie importante de « Boîte noire ». Il est omniprésent lors de l’analyse des enregistrements mais aussi dans les scènes où Mathieu se débat contre ses propres troubles auditifs – il est assailli par les acouphènes et l’hyperacousie, un mal caractérisé par une hypersensibilité aux sons environnants.
Yann Gozlan se sert de cette dimension sonore riche pour impliquer le spectateur dans l’enquête. « Les enregistrements de sons dans les cockpits sont souvent de mauvaise qualité car les micros d’ambiance utilisés le sont aussi. Cela peut surprendre car que les appareils autour des pilotes, eux, sont de plus en plus sophistiqués. Il suffit en plus qu’il y ait des turbulences ou que le signal soit altéré au moment du crash pour que les enregistrements soient dégradés. Du coup, quand on analyse un enregistrement, on peut entendre deux choses différentes, dit-il. Cela créé quelque chose d’intéressant sur le plan dramatique. Plus les enregistrements sont en mauvais état, plus nous, spectateurs, devenons actifs. Comme les enquêteurs, on a envie de tendre l’oreille pour essayer de distinguer les mots et de comprendre ce qui s’est passé dans cet avion ».