Les parents d’élèves ont fait le forcing pour lancer des programmes bilingues dans les écoles publiques new-yorkaises. Maintenant, c’est au tour du Département de l’Education (DoE) de faire sa part du travail.
Tel était le message porté par plusieurs intervenants lors du Salon du bilinguisme, qui s’est tenu samedi 23 novembre à Fordham University. Cette année encore, ce rendez-vous organisé par French Morning a rassemblé des centaines de parents, d’écoles et d’autres acteurs et militants de l’éducation multilingue, dont Gale Brewer, la présidente du borough de Manhattan, venue clôturer l’événement avec le consul d’Italie à New York.
L’élue en a profité pour déplorer l’absence de programme bilingue français-anglais à Queens où “150 langues sont parlées“. Les efforts de parents dans cet arrondissement multiculturel se sont heurtés jusqu’à présent aux réticences du district scolaire. “Ce stupide pays est très monolingue. On a besoin de faire comprendre l’importance de ces programmes pour former des ambassadeurs pour New York et accroitre les perspectives professionnelles des jeunes, a-t-elle confié. Le DoE nous frustre à beaucoup de niveaux mais nous allons continuer à pousser. Nous avons besoin de plus de fonds. Nous ne pouvons pas faire de l’éducation bilingue sans financements ni de bons enseignants”.
Gale Brewer n’était pas la seule à accuser la Ville de ne pas être à la hauteur de l’enjeu. Lors de la première des conférences organisées pendant la journée, le conseiller municipal multilingue Mark Levine, qui représente notamment le quartier hispanique de Washington Heights (nord de Manhattan), a noté que “25% des élèves de primaire en Utah sont inscrits dans un programme bilingue, contre seulement 4% à New York. Nous pouvons mieux faire“. (L’Utah s’est lancé dans les années 2000 dans une politique très ambitieuse de développement de l’éducation bilingue pour accroitre son attractivité économique).
L’élu, qui parle couramment l’hébreu et l’espagnol, parle d'”échec du système scolaire public” et met en cause “une façon de penser au sommet du DoE qui consiste à se demander uniquement comment on peut aider des enfants d’immigrés à parler anglais. Les leaders ne comprennent pas les programmes bilingues, dit-il. Même si le responsable actuel, Richard Carranza, est bilingue anglais-espagnol, il y a un fossé entre son discours favorable au bilinguisme et l’infrastructure dont nous aurions besoin pour donner une éducation bilingue aux 1,1 million d’enfants scolarisés dans le public”.
Historiquement, à New York comme dans le reste des Etats-Unis, l’éducation bilingue a reposé sur le modèle “transitionnel” dont l’objectif était de permettre à des locuteurs non-natifs de migrer progressivement vers l’anglais plutôt que de conserver leur langue d’origine. Ces dernières années, des programmes bilingues d’immersion se sont développés dans les écoles publiques sous l’impulsion de parents soucieux de préserver leur langue et culture. Dans ces programmes, les classes sont composées de locuteurs anglophones natifs et de non-natifs qui suivent les cours traditionnels dans les deux langues.
En février, le maire démocrate de New York Bill de Blasio a annoncé le lancement de 47 programmes bilingues supplémentaires à la rentrée 2019-2020, portant le nombre total de ces programmes à 103, selon la mairie. Parmi les petits nouveaux, des programmes de créole, hébreu, japonais et français.
Pour Lucas Liu, un parent qui siège au sein du conseil consultatif de l’éducation (Community Education Council) pour le district scolaire 3 (Upper West Side et Harlem), la Ville et l’Etat de New York peuvent agir pour faciliter la certification des enseignants bilingues -un processus long et coûteux- et fournir les ressources pédagogiques adéquates aux écoles. Aussi, le DoE devrait-il davantage faire la promotion de ces programmes, selon lui. “Le DoE doit se mettre dans la tête que l’éducation bilingue est pour tout le monde, pas uniquement les immigrés qui doivent faire la transition vers l’anglais“, conclut-il.
Côté écoles aussi, on crie à l’aide: de nombreux programmes à New York et dans le reste du pays manquent d’enseignants qualifiés. “La priorité doit être l’embauche d’enseignants, souligne Tina Simon, enseignante de français à PS 110, une école publique de Greenpoint (Brooklyn) qui dispose d’un programme d’immersion français-anglais. Il y a beaucoup de francophones à New York mais il faut que le Département de l’Éducation sponsorise les visas et les permis de travail pour les francophones si New York veut réellement être un agent de cette révolution bilingue. Il y a de plus en plus d’enseignants formés mais ce n’est pas assez pour suivre le rythme des ouvertures de programmes“.
Pour Mark Levine, l’élu du nord de Manhattan, la solution viendra une fois de plus des parents. “Ils doivent mettre la pression sur les autorités pour s’assurer qu’il y a un changement systémique. Les parents doivent se dresser pour dire qu’ils ne veulent pas qu’une nouvelle génération d’enfants passe à côté des opportunités du bilinguisme“.
Toutes les photos de l’événement ici (droits Cécile Vaccaro Photographe) :