Berthe Weill était une femme, juive, qui tenait une galerie d’art dans le Paris du début du XXe siècle. Rien que cela aurait justifié de lui consacrer une exposition un siècle plus tard. Il se trouve que Berthe Weill a aussi été celle qui a révélé un large pan de l’avant-garde européenne de cette époque-là : Picasso, Matisse ou encore Modigliani lui doivent beaucoup pour avoir été exposés en premier chez elle, dans la petite boutique qu’elle tenait d’une main de fer à Montmartre. C’est cette histoire passionnante que propose de revisiter le Grey Art Museum, le musée de la New York University (NYU), à partir du mardi 1er octobre.
L’exposition s’intitule « Make Way for Berthe Weill » et fait ouvertement référence au « Place aux jeunes » que la galeriste française avait fait imprimer au dos de ses cartes de visite. « Pendant que les autres galeries continuaient de promouvoir les impressionnistes, Berthe Weill, elle, mettait en avant ces nouvelles figures qui émergeaient ; elle était la seule à se concentrer sur ces jeunes artistes », rappelle la très francophile Lynn Gumpert, directrice du Grey Art Museum.
L’exposition mettra en avant plus d’une centaine d’œuvres qui sont ou ont pu passer entre les mains de la galeriste. Juste retour des choses qu’un siècle plus tard on s’intéresse enfin au parcours de cette femme, la première à créer une galerie à Paris, ouverte avec… ses 4.000 francs de dot. « Nous avons voulu donner à voir ce qu’elle a compris avant les autres », éclaire Marianne Le Morvan, la commissaire de l’exposition et chercheuse française, qui est aussi la spécialiste de Berthe Weill après avoir notamment écrit une biographie de la galeriste et fondé les archives Berthe Weill à Paris.
« C’était une femme et elle n’avait pas beaucoup de moyens, développe Marianne Le Morvan. C’est aussi cela qui l’a forcée à découvrir de nouveaux artistes : les plus connus partaient dans les galeries les plus réputées. Ce n’était pas l’argent qui l’intéressait, mais elle voulait faire partie de cette révolution qui se déroulait sous ses yeux, dans le bouillonnement de Montmartre. » Elle en développe un rapport très intime avec les artistes. « On n’imagine pas Picasso vulnérable, et pourtant il a faim et vient manger chez elle à l’œil », relève Marianne Le Morvan.
Berthe Weill a été tellement importante dans leur parcours qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quand elle fut ruinée et fragile, 84 d’entre-eux, c’est-à-dire quasiment tous, se mobilisent et organisent une vente aux enchères de leurs œuvres pour lui venir en aide.
« Elle s’est levée contre les normes sociétales de l’époque, loue Lynn Gumpert. Elle a quitté très jeune le domicile de ses parents et s’est installée au-dessus de sa galerie. Elle a aussi dû faire face à un antisémitisme très fort. » On est en pleine affaire Dreyfus, et comme elle l’écrit dans sa captivante autobiographie (Pan dans l’œil !, traduit en 2022 sous le titre Pow! Right in the eye), Paris est alors divisé en deux camps. Une section de l’exposition sera d’ailleurs consacrée à cet antisémitisme rampant et à cette déferlante d’œuvres d’art qui l’ont abordé de près ou de loin.
Berthe Weill avait décidé de ne pas se marier car « à l’époque, il fallait l’accord de son mari pour travailler ou ouvrir un compte en banque, et elle a préféré rester libre », complète Marianne Le Morvan. Dans son autobiographie, elle écrit aussi qu’elle était revêche et pas commode. Mais elle n’était pas que ça, elle était aussi d’une infinie générosité. » Elle constitue aussi un enseignement pour notre époque, selon la chercheuse française : « Elle montre qu’il faut être pugnace et faire ce qu’on aime : c’est comme ça qu’on est le meilleur. »
« Make Way for Berthe Weill » au Gray Art Museum, 18 Cooper Square, New York. Du 1er octobre 2024 au 1er mars 2025. Gratuit pour les étudiants et personnel de NYU, don de 5$ recommandé pour les autres visiteurs.
L’exposition voyagera ensuite à Montreal (Museum of Fine Arts, du 5 mai au 7 septembre 2025) puis à Paris (Musée de l’Orangerie à partir du 8 octobre 2025).