« Père et fils asiatiques. Le môme ne décroche pas de sa console vidéo. Zéro échange. 9.30$ ». Lundi 4 janvier 2016, 7h50. L’heure de la première course pour Benoit Cohen. Quelques mois auparavant ce Français, 46 ans, producteur et réalisateur de films a passé sa licence à Queens. Des semaines de cours, de galères de paperasse, de tests, de files d’attente pour enfin devenir taxi driver new-yorkais.
A l’origine de ce changement radical de vie, pas de problème d’argent ou de crise de la quarantaine. Non, l’idée tenace d’un film qui parlerait d’une Française chauffeuse de taxi, débarquée à New York, et dont on ignore le passé. Par souci de vérité, Benoit Cohen, arrivé en 2015 avec sa femme, elle aussi réalisatrice, et leurs deux enfants, décide de s’immerger totalement dans le personnage de son futur long-métrage. « Il fallait que je sache de quoi j’allais parler, explique le réalisateur. Et la meilleure façon, c’était de devenir mon personnage. J’ai tapé sur internet : comment devenir chauffeur de taxi et voilà, c’était le début de l’aventure ».
Si le film doit être tourné à l’automne prochain, l’expérience a aussi donné lieu à un récit, Yellow Cab, paru chez Flammarion, le 1er mars. Il en parlera ce mercredi 15 mars à la librairie Albertine.
« Mon cœur bat à deux cents à l’heure. Je transpire. Et si je ne comprends pas ce que me disent les clients ? Si mon GPS tombe en panne ? Si je me perds ? », raconte Benoit Cohen dans son livre. « C’est une expérience assez forte, de voir monter des gens nouveaux, dont on ne connait rien, à chaque course ». Une remise en question, une plongée dans l’inconnu, au volant d’un taxi jaune. « En tant que réalisateur, j’ai toujours eu l’habitude de tout contrôler. Là, j’étais obligé de jouer le jeu, de me laisser guider par les passagers, de répondre à leurs demandes, de subir leurs humeurs, d’être totalement au service d’inconnus qui pouvaient m’emmener où ils voulaient ».
85th St & Madison, La Guardia Airport, Flatbush, Greenwich Village, Harlem. Avec Yellow Cab, le lecteur est emporté aux quatre coins de New York. Des quartiers chics aux recoins où l’on évite de marcher seul. « J’avais l’impression de bien connaître mais en fait j’ignorais de nombreux quartiers, raconte Benoit Cohen. J’ai beaucoup aimé le nord de Central Park et le Bronx ».
Le récit mélange habilement et avec rythme, les courses, les souvenirs familiaux, les réflexions cinématographiques qui s’invitent dans les journées derrière le volant. A bord du taxi jaune, on apprend beaucoup sur les habitants de New York. Les riches, les ouvriers, les très très riches, les étudiants, les infirmières, les seniors: « C’est ça qui est intéressant, précise le réalisateur. C’est pour cette raison que je ne voulais pas être un chauffeur Uber car ce n’est pas la même clientèle. Dans le yellow cab, on trouve toutes les populations ».
Des clients muets, des clients snobs, des clients bavards qui racontent leur vie, comme à un ami ou à un psy: il voit de tout. « Les gens savent qu’ils ne reverront jamais la personne qui est au volant. Ça les pousse à se livrer, à se confesser, à probablement même inventer des histoires. C’est une des choses que j’ai préférées dans cette expérience, » confie le réalisateur. Benoit Cohen est l’auteur de six films parmi lesquels “Nos Enfants chéris” (2003) et “Tu seras un homme” (2013). Pour aucun de ses longs-métrages, il n’avait ressenti ce besoin de s’immerger aussi profondément dans la peau d’un personnage, même s’il s’est toujours nourri de ses expériences personnelles ou de sa vie privée.
Etre chauffeur de taxi à New York rend humble, estime le réalisateur, qui peinait à gagner 150 $ en 11 heures derrière son volant, et en se levant à 5am. Celui qui déclenche le compteur est invisible pour le passager qui devine au mieux un profil. Yellow Cab, ce n’est pas le rêve américain, c’est l’envers du décor dans la fourmilière qu’est New York: « La lutte des classes, l’immigration, le déracinement, l’endurance, l’humilité, la tolérance, l’injustice, l’exil, la peur… » .
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vu aujourd’hui dans l’émission Turbo de M6