Le serial entrepreneur Benjamin Fabre dirige DataDome depuis New York. Avant de créer l’entreprise de cybersécurité en 2015, il a monté une agence de marketing, puis un logiciel de veille des réseaux sociaux, TrendyBuzz, vendu à Linkfluence il y a dix ans. « Avec mes associés, nous nous sommes rendu compte que les robots que nous développions pour TrendyBuzz n’étaient jamais bloqués; or les robots sont extrêmement dangereux, et le trafic qu’ils génèrent est colossal. C’est de là que nous est venue l’idée de protéger les sites internet et les app mobiles contre les robots, qu’ils soient là pour attaquer les sites ou pour les scrapper (extraire toutes les données d’un site, ndlr) ».
Aujourd’hui, DataDome travaille pour des sites marchands comme Etsy, Footlocker ou Tripadvisor, des places de marché, des banques et assurances, et des sites de média comme le New York Times ou le Washington Post (qui veulent protéger leur contenu et empêcher les réseaux sociaux de le reproduire gratuitement ailleurs). À l’origine Chief Technical Officer, puis Chief operating Officer, Benjamin Fabre est depuis deux ans le Chief Executive Officer de l’entreprise depuis leurs bureaux de Soho à New York. Autour d’un café sur une terrasse de Carroll Gardens, il démonte avec nous quelques idées reçues.
« La question de “flipper” la société mère aux États-Unis s’est posée lors de la série B, raconte le dirigeant. Mais sur la dizaine d’investisseurs en lice, seulement deux l’exigeaient ». Ils ne seront pas retenus, et le siège restera à Paris. « Cela ne nous a pas empêché de bien performer aux États-Unis, malgré quelques petites complexités comme pour les stock-options ». Depuis, Datadome a levé 42 millions d’euros en série C pour développer de nouveaux produits, mais n’a pas pour autant bougé son siège.
« Nous avons réussi à bootstrapper notre développement aux États-Unis sans la présence d’un cofondateur. C’était d’autant plus facile que nous sommes un marché très ‘tech’, et que nous avions un produit solide. Nous avions sur place une petite équipe talentueuse qui connaissait bien le marché américain, et qui a réussi à convaincre des ‘early adopters’ ». DataDome a aussi bénéficié d’un marché plus prône à prendre des risques : « Les clients américains prennent des décisions plus rapides, et testent rapidement les produits pour voir s’ils sont l’affaire ».
Cela étant dit, tous les clients ne sont pas des ‘early adopters’ : les grands acteurs du retail par exemple, sont plus difficiles à convaincre si l’un des fondateurs n’est pas présent et si les équipes sur place sont trop réduites. « Certains clients ont besoin d’avoir des fournisseurs reconnus localement. Même si un produit est meilleur qu’un autre, ils préfèreront une entreprise avec une plus grosse assise sur place. Ils savent qu’ils ne se feront pas virer pour avoir choisi IBM ou Salesforce ! ».
« On se pense très proches des Américains, mais on sous-estime le choc culturel, qui est incroyable ». Cela rend la communication avec l’ensemble du personnel assez compliquée : « Il faut à la fois donner le niveau d’énergie et d’optimisme attendu par les employés américains, sans pour autant paraître trop faux auprès des employés français ». Un équilibre délicat !
L’ambition déclarée, par exemple, est très importante de ce côté de l’Atlantique : « Il faut expliciter clairement son ambition pour l’entreprise si l’on veut recruter des gens talentueux ». Dans cette économie sans filet, un employé américain prend un risque conséquent en rejoignant une startup, de surcroit méconnue et européenne : « S’ils constatent une ambition forte, un financement solide et une forte implication sur place de l’équipe de management, cela réduit beaucoup leur perception du risque ». Lors des entretiens d’embauche, certains candidats américains n’hésitent pas à demander les noms de investisseurs, le montant du cash disponible… Des questions que certains employeurs français pourraient trouver déplacées.
En France, à l’inverse, l’humilité est une valeur appréciée. Dans ce contexte, « la difficulté est de réconcilier humilité et ambition. Mais c’est possible : on peut être ambitieux sans être prétentieux ». Humilité et ambition sont d’ailleurs les valeurs d’entreprise retenues par DataDome, en plus du travail d’équipe.
« Les Américains et les Français n’ont pas du tout la même façon de travailler, précise Benjamin Fabre. Aux États-Unis, la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée est très floue, les employés américains sont tout le temps joignables mais n’hésiteront pas à prendre quelques heures ici et là pour des tâches d’ordre privé. Les Français, à l’inverse, sont 100% concentrés sur leurs heures de travail, mais quand ils débranchent, ils débranchent pour de bon. Cela nécessite beaucoup de training interculturel pour éviter les incompréhensions ». Pour résoudre ce défi, Benjamin Fabre fait appel à des coachs interculturels : « ll est important de créer de l’empathie entre les équipes et de montrer que tout le monde travaille à 100% ».