C’est dimanche après-midi, et la chanteuse Ayọ s’interroge sur le programme de son concert deux jours plus tard (mardi 27 mars) au Lycée français de New York. Peut-être chantera-t-elle des morceaux issus de son premier album, “Joyful”, où figure son tube “Down on my knees” ? Quelques chansons de son petit dernier, “Ayo”, sorti l’an dernier ? “Ou peut-être une qui n’est sur aucun disque, s’aventure-t-elle. J’essaie de rester libre et ouverte, ne pas avoir trop d’idées pour ne pas me limiter“.
“Libre”, un adjectif qui décrit bien l’état d’esprit actuel de l’artiste. Après dix ans de collaboration avec le label Universal, elle a décidé de se lancer de manière indépendante dans la production de sa musique. “Ayo”, enregistré en partie sur son portable et dans son appartement à Brooklyn, est le fruit de ce nouveau chapitre. “Beaucoup de choses avaient changé à Universal. J’étais perdue. Je travaillais avec des gens qui ne me connaissaient pas du tout, qui ne comprenaient pas ma musique. Ils privilégiaient la quantité sur la qualité“, raconte-t-elle.
Ayọ (qui signifie “joie” en yoruba) ne recommence pas pour autant de zéro. À 37 ans, l’artiste a déjà une longue carrière entre plusieurs continents. Né d’un père nigérian et d’une mère roumaine tsigane, Joy Ogunmakin de son vrai nom a vu le jour en Allemagne et a vécu tour à tour au Nigéria, à Londres et à Paris notamment. C’est en France, où elle s’installe avant la sortie de “Joyful” en 2006, que l’autodidacte de la guitare connaît son succès le plus retentissant. L’album, une forme de thérapie dans lequel la chanteuse évoque les traumatismes de son enfance (placement dans une famille d’accueil, mère droguée à l’héroïne…), devient rapidement double disque de platine et fait d’elle une véritable sensation. “Quand je pense à la France, je deviens émotive. C’est une histoire incroyable. J’ai reçu tant d’amour en France et je n’ai pas d’explication sur les raisons, dit-elle. C’est en France que mes rêves sont devenus réalité. Et plus que ça encore! J’ai pu faire ma musique et faire entendre mon message: être moi-même.“
Bien du temps s’est écoulé depuis ce premier succès. Depuis, elle a sorti quatre autres albums, est devenu mère pour la troisième fois, s’est installée pour de bon à Brooklyn, où elle avait un pied-à-terre. Partir vivre aux Etats-Unis était plus pratique pour faire des tournées. “New York a une énergie similaire à Paris, sauf que c’est plus grand et plus neutre, raconte-t-elle. J’avais besoin de sortir de Paris, qui était devenue trop petite. Comme dans une relation amoureuse qui dure dix ans, les besoins changent. J’avais besoin de me retrouver avec mes enfants, d’être dans un endroit sans savoir ce qui allait se passer“.
Et l'”arc-en-ciel” de New York, “l’un des seuls endroits où la couleur n’existe pas”, sied à la chanteuse aux identités multiples. “Il y a des jours où je me sens un peu perdue. Je ne sais pas où j’appartiens, s’amuse-t-elle, en référence à ses racines. En Allemagne, on me demande d’où je viens alors que je suis née là-bas. Ici, on pense que je suis Brésilienne, Française, Anglaise… J’ai un accent universel. Bref, personne ne sait d’où je viens“.
Mais en tant que femme noire, elle reste lucide sur les tensions raciales qui perdurent dans l’Amérique d’aujourd’hui. Sur son dernier album, figure une chanson intitulée “Boom Boom” dédiée à Michael Brown, un jeune Afro-américain tué par un policier blanc en 2014 à Ferguson (Missouri). “Les gens sont plus forts que le système, mais celui-ci est dangereux. La police l’incarne. Quand je pense aux victimes de violence policière, je commence à revoir les couleurs (de peau, ndr) et à avoir peur”.
“Paname”, une autre chanson de ce cinquième album, autrement plus légère, rend hommage à Paris et comporte quelques mots de français. “J’ai appris le français grâce à mon batteur en France. Avant, je savais dire: “où se trouve la Gare du Nord ? Où se trouve Richard ? Je veux bien du chocolat chaud…, sourit-elle. Mon français était horrible. Je disais ‘meuf’, ‘nana’ car mon batteur parlait comme ça. J’étais comme une ‘caille-ra’ (verlan de racaille)!” A-t-elle envie de composer dans la langue de Molière ? “J’aime beaucoup la langue, mais quand j’écris, c’est pour dire des choses très personnelles. C’est une langue difficile”.
Au-delà de la langue, Ayọ veut retranscrire dans ses chansons “des émotions“, et tant pis si cela se fait en dehors des circuits du show biz. Elle ne veut pas se retrouver comme d’autres célébrités qui “ont de l’argent mais ne savent pas quoi en faire“. “C’est quoi être une star ? Ca peut se terminer du jour au lendemain, lance-t-elle. Je trouve que je suis restée simple, mais je pourrais l’être encore plus. Je recherche encore plus de simplicité“.