La tour Greenwich West au 110 Charlton Street (ci-dessous) a une histoire singulière: c’est la première de New York à avoir été conçue par une Française (et même une Européenne), l’architecte Françoise Raynaud. “Dès qu’on parle de tour, on ne peut s’empêcher de parler de records. Quelqu’un m’a même dit que j’étais la seule femme à avoir fait une tour de plus de 100 mètres de haut !“, s’amuse l’intéressée lors d’une interview sur Zoom. Tout en reconnaissant l’importance “d’ouvrir le champ des possibles” dans une profession où peu de femmes dirigent leur propre cabinet, comme elle.
“À un moment donné, on fait des choix. Certaines décident de laisser de côté leur carrière au bénéfice de leur vie familiale. Moi, j’ai monté mon agence en même temps que je suis devenue mère, sourit-elle. J’étais un peu à contre-courant, mais j’y suis arrivée !“
New York, un rêve
Fondatrice en 2005 de l’agence parisienne Loci Anima, elle peut en tout cas se targuer d’être l’une des rares femmes – avec Liz Diller, Annabelle Selldorf ou encore Zaha Hadid – à avoir posé son empreinte sur la skyline new-yorkaise. Greenwich West, tour résidentielle de 167 appartements de luxe, domine désormais Greenwich Village du haut de ses 30 étages et 110 mètres. New York ? Un “rêve” pour cette bâtisseuse à qui l’on doit des projets variés à travers le monde (le quartier Pont d’Issy, le cinéma Les Fauvettes à Paris, un hippodrome en Corée-du-Sud, la Maison Cartier à Pékin…). “Il n’y a pas beaucoup d’architectes qui n’aiment pas New York. C’est une ville extraordinaire. Comme Tokyo, elle allie gigantisme et bien-être. En effet, quand on est dans la rue, au pied des immeubles, on se sent bien. Ce n’est pas le cas partout“, raconte-t-elle.
New York, Tokyo… Françoise Raynaud a un faible pour les villes portuaires. “C’est la lumière, le vent. Je suis née dans une région, Carcassonne, où il y a le mistral, la tramontane”. Et un riche patrimoine architectural. “J’étais fascinée par mon histoire locale, les monuments de Carcassonne, ses grands châteaux cathares… J’ai été très influencée par Viollet-Le-Duc, qui a restauré la cité de Carcassonne“.
À l’âge de 6 ans, elle se voit déjà architecte et se met à construire des bâtiments de Lego. La passion ne l’a pas quittée depuis. En 1985, son diplôme en poche, elle entame une longue carrière au sein du cabinet de son mentor, le légendaire Jean Nouvel, dont elle aime la patte. Jusqu’à la fondation de son agence, elle se spécialise notamment dans la construction de tours, ces bâtiments qui ont si “mauvaise presse” en Europe. “Pendant très longtemps, la tour a été l’expression de l’économie, de la rentabilité, de l’optimisation de la surface au sol. Ce sont des barres, des cages à lapins, explique-t-elle. La tour européenne a presque toujours été une catastrophe dans son rapport au sol“.
« Vision plus humble » du gratte-ciel
D’après elle, les gratte-ciel, nécessaires pour densifier l’espace, doivent être comme des “plantes qui poussent“, s’intégrant à leur décor urbain. Une philosophie influencée par la pensée “contextualiste” de Jean Nouvel et la découverte, lors de ses projets en Asie, des principes du Feng Shui, qui consiste à “travailler avec les éléments de la nature, savoir poser une maison dans un paysage en fonction des orientations, du vent, du soleil, des énergies“. Greenwich West n’échappe pas à la règle. Située dans un recoin industriel de Greenwich où étaient établies jadis de grandes imprimeries, la tour aux angles arrondis est construite en longues briques claires, à l’image des sables du fleuve Hudson voisin. Pour l’embrasure de ses larges fenêtres, l’architecte a choisi une brique émaillée pour réfléchir les rayons du soleil et les éclats du fleuve dans les appartements. “Les effets à l’intérieur des logements sont tout à fait extraordinaires. Nous voulions que tout le monde, même les appartements orientés vers le nord, puisse bénéficier de la lumière, explique-t-elle. Pour moi, un bon bâtiment donne plus qu’il ne prend: les structures voisines doivent bénéficier de son apport. C’est une vision beaucoup plus humble, dira-t-on“.
Pour habiter dans cette tour vendue comme “française” (le botaniste français Patrick Blanc signe le jardin vertical dans l’entrée), il faut mettre le prix: les appartements disponibles vont de 1,6 million à 4,8 millions de dollars. “Il n’y a pas de tours autour, ce qui fait qu’on a des vues dégagées sur Manhattan“, observe Françoise Raynaud. Sa frustration: ne pas avoir pu assister à son achèvement pour cause de Covid-19. “C’était très dur, soupire-t-elle. Il y a des bâtiments qu’on aime plus que d’autres. J’ai beaucoup d’affection pour cette tour que je trouve bien à sa place et intemporelle. Si j’avais un peu d’argent, j’y aurais bien acheté un appartement !“.