Bruno Corty est tombé dans la littérature américaine quand il était petit, par hasard. C’est en écoutant, à travers le vieux poste de radio de la maison familiale, les voix d’Elvis, Patti Smith ou même Joe Dassin, puis en découvrant plus tard les westerns diffusés à la télé française, qu’un nouveau monde s’est ouvert à lui : celui des grands espaces et des textes de la même dimension, du théâtre tout d’abord avec Sam Sheppard puis des écrivains, nombreux depuis la fin du XIXe siècle de ce côté-ci de l’Atlantique.
Devenu journaliste réputé – il est le rédacteur en chef du Figaro Littéraire-, il vient d’en tirer une somme : un peu plus de 600 pages érudites et passionnantes à lire (vraiment), sous forme d’un abécédaire, Dictionnaire amoureux de la littérature américaine (Plon, 2024). « J’ai lu d’autres littératures étrangères mais c’est l’Amérique qui m’a toujours parlé le plus, explique-t-il. Quand j’ai découvert James Ellroy, ça a été une claque dans la figure. Je me souviens aussi de ma géniale prof d’anglais du collège nous faisant lire Le Masque de la mort rouge d’Allan Poe. Puis j’ai lu Norman Mailer qui m’a paru incroyable, Dos Passos qui m’a fasciné, le Jack London de Martin Eden et du Loup des Mers, et tout s’est agrégé comme cela. »
Via son Dictionnaire Amoureux, on voit bien qu’il en aime certains plus que d’autres. Faulkner, Hemingway, Dos Passos, tous nés au tournant du XXe siècle, trouvent particulièrement grâce à ses yeux. « La littérature américaine, c’est le XXe siècle, pas avant, pas après, assure-t-il. Les écrivains américains sont beaucoup venus participer à des festivals en France, à Saint-Malo (Etonnants Voyageurs) ou Vincennes (America) notamment. J’ai pu rencontrer Jim Harrison, Paul Auster, Richard Ford… C’est une chance de grandir et vieillir avec ces gens-là. » Il a même tissé des liens avec James Ellroy, pourtant réputé dur avec les journalistes, et Stephen King.
Il a en revanche laissé certains de côté, par oubli ou par choix. Henry Miller notamment. « Je me suis prodigieusement ennuyé à la relecture de sa littérature sulfureuse, érotique et très descriptive, confie-t-il. Ce Dictionnaire amoureux, c’est ”voilà ce que j’ai aimé et ce que je vous propose’’. »
À la lecture de ses pages, on a envie de lire ou relire quantité de livres. On devine aussi un certain visage de l’Amérique. Personne n’a mieux raconté ce pays grand comme un continent que les écrivains . « Les Américains, depuis toujours, ont du souffle, de la force, de l’ampleur, fait remarquer Bruno Corty. Ils utilisent leur expérience. Bukoswki, par exemple, a un vécu, il tire le diable par la queue. » C’est une sorte d’histoire des Etats-Unis qui se déroule devant nos yeux.
Une large place est consacrée à la Beat Génération. « C’était formidable dans ces années 70, développe le journaliste. La Beat Génération est un exemple de la liberté de gens assez aisés, ayant fait de longues études, mais qui ont eu envie de faire bouger cette société américaine. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, même en termes de drogue ou de sexualité. Ils mettaient en scène des types qui couchaient ensemble, sans forcément les ancrer dans l’homosexualité, mais juste parce qu’ils étaient libres. »
Les lecteurs de romans plus modernes, eux, comprennent peut-être un peu mieux l’élection, puis la réélection, de Donald Trump, grâce à la littérature américaine. « Il y a une Amérique qu’on ne voit pas forcément ailleurs et qu’on retrouve dans des nouvelles, via des auteurs pas très connus qui parlent de l’Amérique moyenne, fait remarquer Bruno Corty. Ils parlent de gens qui mènent ces petites vies faites de combines : le rêve américain ne passera pas par eux, ce sont des éloignés de Washington et du pouvoir, et se sont retrouvés autour du vote Trump. »
Le journaliste a relu entre 100 et 150 romans, pendant plusieurs mois, pour être sûr de ses choix. Tombé très jeune dans le chaudron de la littérature américaine, il n’en est jamais vraiment sorti.