Comment organiser une manifestation de Gilets jaunes aux Etats-Unis quand on n’a pas de… gilet jaune ? “Je vais aller en trouver à Home Depot“, répond Arno Fortelny. Ce créateur d’applications web vivant à Brooklyn a la réponse car il est l’organisateur de la manifestation des “Yellow Vests” du 22 décembre devant le consulat de France à New York en “solidarité avec nos frères en France” et pour “les encourager à continuer” le combat.
“Je ne suis pas un activiste professionnel. Quand j’ai entendu parler du mouvement en France, j’ai regardé en ligne et vu qu’il n’y avait rien à New York. Je me suis dit que j’allais lancer quelque chose. Si ça ne marche pas, au pire, je me serais fait quelques amis“, explique-t-il.
Impliqué dans le groupe socialiste DSA (Democratic Socialists of America) et supporter déçu de Barack Obama, Arno Fortelny n’est pas Français, mais Autrichien. Il est arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 13 ans. “Les Gilets jaunes sont un mouvement puissant. Il n’est pas porté par des revendications syndicales, estime-t-il. Nous vivons dans un moment dangereux. On le voit avec Trump aux Etats-Unis, le Brexit, Le Pen qui a failli arriver au pouvoir en France… Des gens à droite comme à gauche sont d’accord pour dire que le néo-libéralisme ne marche pas“.
Comme lui, d’autres aux Etats-Unis ont été inspirés par le mouvement français. Différents groupes sont en train d’être montés dans le pays. C’est le cas en Californie, dans le Michigan ou dans le New Jersey, où une manifestation doit avoir lieu samedi 22 décembre devant le parlement de l’Etat, à Trenton, pour montrer que “le peuple est en contrôle de la démocratie, pas les compagnies“. Un autre groupe prévoit de se retrouver pour le Nouvel an à Times Square. Au niveau national, un groupe Facebook Yellow Vest United States a également vu le jour pour encourager les rassemblements. Le créateur du groupe n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
L’émergence des Gilets jaunes en France coïncide avec un regain d’intérêt aux Etats-Unis autour d’idées traditionnellement associées à la gauche, comme l’augmentation du salaire minimum, la couverture médicale universelle et la lutte contre les inégalités. Il y a “un profond sentiment d’injustice chez les classes populaires en France et aux Etats-Unis et plus largement dans le reste du monde“, confiait le chercheur au CNRS Julien Talpin début décembre à French Morning.
“J’aime bien l’idée des classes laborieuses qui se rassemblent. Quand j’ai entendu parler du mouvement sur Facebook, je me suis dit: quand est-ce qu’on le lance aux Etats-Unis ?“, s’exclame Jesse Ehrnstrom, à l’origine du groupe du New Jersey. Cet Américain effectue trois heures de trajet en voiture tous les jours pour travailler dans un dispensaire parce qu’il n’a pas trouvé d’emploi près de chez lui.
Pour ce supporter du “démocrate-socialiste” Bernie Sanders à la présidentielle de 2016, la situation des classes populaires en France et aux Etats-Unis est similaire. “Dans les deux pays, il y a une très grande disparité de revenus. La classe moyenne est de moins en moins riche. C’est de plus en plus dur pour les personnes vivant dans la pauvreté de s’en sortir“.
Pour le moment, ces “Yellow Vests” reconnaissent que la mobilisation est difficile aux Etats-Unis. Les groupes créés sur Facebook ne comptent que quelques dizaines de membres tout au plus. Arno Fortelny relativise: “J’espère que cela va faire réfléchir. Grâce à Trump, les Américains sont plus éveillés. Le changement arrive. Je ne sais pas si nous sommes prêts pour un mouvement comme les Gilets jaunes, mais il y aura un épisode similaire aux Etats-Unis. Reste à en voir la forme“, assure-t-il.
À défaut de s’exporter largement, les Gilets jaunes français auront déjà réussi au moins une chose aux Etats-Unis: changer le débat autour de la création d’une taxe carbone, une idée en vogue en ce moment dans les cercles environnementaux et chez certains législateurs. C’est l’annonce d’une hausse de la taxe sur les carburants qui avait déclenché le mouvement en France.
Pour Kate Aronoff, journaliste spécialisée dans l’environnement qui écrit notamment pour le site d’investigation The Intercept, le cas français montre que “la voie à suivre n’est pas une collection de mesures néo-libérales telles que défendues par Macron ou des figures ici comme Michael Bloomberg (l’ancien maire milliardaire de New York, ndr). Cela montre que toute politique climatique doit investir massivement dans l’amélioration de la vie des travailleurs. Autrement, elle échouera“, a-t-elle fait valoir lors d’une conférence organisée à la librairie Verso à Brooklyn lundi 17 décembre. “Si un gouvernement de centre-gauche arrivait au pouvoir aux Etats-Unis et mettait en place une taxe carbone, il y aurait une forme de protestation, en partie car la vie des travailleurs est toujours difficile“.