Aurélien Dufour est fier de montrer son local de production à Long Island City. Le charcutier passe de salle en salle, jusqu’à arriver à un grand espace immaculé doté de plafonds hauts et d’un plan de travail métallique, au centre. Là, le Français et trois employés préparent tous les jours les produits artisanaux (pâtés, saucisses, rillettes, terrines…) proposés par sa petite entreprise, Dufour Gourmet.
Le chef de 35 ans donnera un aperçu de sa créativité le vendredi 22 octobre au Consulat. Aux côtés de quatre autres toques, il participera à l’élaboration du dîner « Renaissance », en clôture du festival gastronomique Goût de/Good France. Pour ce repas qui remontera le temps, il prévoit de confectionner des « tourtes rustiques remplies d’ingrédients riches » (caille, pistache, foie gras…). « On ne se rend pas compte de tout ce que l’on peut faire dans la charcuterie. Dans le passé, j’ai fait des galantines qui sont comme des pièces d’art !, se félicite-t-il. Il n’y a pas de limite ».
Aurélien Dufour est tombé dans la marmite très jeune. À l’âge de 2 ans, le Bordelais s’installe près de Hambourg, en Allemagne, où son père est muté dans le cadre de son travail dans l’aérospatiale. « Là-bas, c’est charcuterie le matin et le soir », se souvient-il. Son entourage l’aide à tomber dedans. À commencer par son père, un passionné de cuisine qui aime préparer des repas de haut-vol pour la famille le week-end et participer à des « pop ups » dans des restaurants allemands. Le jeune Aurélien passe aussi du temps avec des proches de la famille qui chassent et possèdent des fermes à la campagne.
Rigueur, précision et création
À son retour en France, à 16 ans, il maîtrise mal le français. Il décide donc de se tourner vers la cuisine. Lors de son apprentissage, il travaille notamment à l’Aviateur, le restaurant VIP de l’aéroport de Mérignac, avant de découvrir le monde des charcutiers-traiteurs. À la suite d’expériences dans le Sud-Ouest, il monte à Houilles, en région parisienne, où il rejoint Aux Fins Gourmets. Ce traiteur est dirigé par Gérard Berranger, un chef charcutier qui possède le titre très convoité de Meilleur Ouvrier de France (MOF). Aujourd’hui retraité, ce dernier sert de mentor à Aurélien Dufour. « Il était sévère, exigeant et très au point. Pour moi, c’est l’un des meilleurs MOF dans le milieu de la charcuterie ».
Le jeune chef prend aussi goût à la compétition. Car Aux fins gourmets participe à de nombreux concours nationaux et internationaux. En 2007, à 19 ans, il se fait remarquer lors d’une rencontre de Jeunes Talents à Rouen. Il se hisse à la deuxième place, grâce une galantine d’écrevisse de huit kilos, cuite pendant 19 heures. L’année d’après, il confirme son statut d’étoile montante de la charcuterie française avec une autre deuxième place nationale, suivie d’une troisième en 2009 lors d’une compétition européenne. À l’époque, il ne se doutait pas qu’il porterait, bien plus tard, les couleurs des États-Unis lors de la coupe de monde des traiteurs organisée à Lyon. « J’aime la rigueur, la précision et la création. Une compétition, pour moi, c’est comme préparer un film. Je sais à quel moment je dois faire tel geste », dit-il.
S’il y a bien quelque chose qu’il n’avait pas prévu en entrant dans le métier, c’est son installation à New York. À travers le charcutier-traiteur parisien Gilles Vérot, il fait la connaissance de Daniel Boulud, le chef étoilé lyonnais qui recherche alors un charcutier pour superviser l’offre de son groupe de restaurants, Dinex. En 2010, il arrive dans la Grosse Pomme avec sa femme, Juliette, qui avait déjà vécu aux États-Unis. Tant pis si cela signifie remettre à plus tard sa préparation pour devenir Meilleur Ouvrier de France.
La charcuterie artisanale et naturelle
Les années Dinex sont bien remplies. En plus de s’occuper de la production de charcuterie pour les restaurants, il participe notamment à l’ouverture des nouvelles adresses et dirige, à 26 ans, la cuisine de préparation d’une quarantaine de personnes qui approvisionne le groupe en produits divers (pâtisseries, charcuterie, pains…). Son savoir-faire lui vaut d’être reconnu parmi les meilleurs chefs de moins de 30 ans par le guide Zagat.
Après six ans auprès de Daniel Boulud, qu’il appelle aussi son mentor, il décide de monter sa propre boîte. « Beaucoup de chefs me demandaient de vendre de la charcuterie, mais je ne le pouvais pas car je travaillais exclusivement pour Dinex. Quand j’ai vu l’opportunité, je me suis dit : pourquoi pas ». Pari réussi. Il fournit des restaurants et des hôtels de luxe, mais aussi les lounges d’Air France et les suites VIP du Madison Square Garden. Au bout d’un an, il doit troquer son local de production à Great Neck (Long Island) pour un espace plus grand, qu’il trouvera donc à Long Island City. Son credo : la charcuterie artisanale et naturelle, sans conservateurs. « Mes pâtés ne sont pas standardisés comme peuvent l’être ceux des producteurs industriels. J’applique des techniques et des petites touches secrètes que m’ont enseignées mes mentors quand j’avais 18 ans ».
Avec la pandémie, Dufour Gourmet a pu élargir sa clientèle aux particuliers. C’est le bon moment, si l’on en croit Juliette Ten-Dufour, qui travaille aussi dans l’entreprise. « La charcuterie devient à la mode. Beaucoup de jeunes chefs américains veulent s’y mettre. Les émissions culinaires ont permis de faire connaître ce métier ». La prochaine étape ? « Je verrai bien une vraie charcuterie à la française, avec de belles vitrines de pièces coupées », ajoute Aurélien Dufour. Il n’est certainement pas le seul.