C’est une fierté française qui débarque à Los Angeles. À la sortie du petit tram qui conduit les visiteurs du parking au sommet de la colline où trône l’imposant Getty Center, à Brentwood, le nom de Camille Claudel s’étale sur une affiche géante, à côté d’une image de l’une de ses sculptures iconiques : « La Valse ». Jusqu’au dimanche 21 juillet, la géniale sculptrice française (1864-1943) est la vedette d’une exposition unique (et gratuite), au cœur de l’institution fondée par J. Paul Getty, après une première étape à Chicago. Pour cet événement exceptionnel aux États-Unis, près de 60 des œuvres de Camille Claudel ont été réunies, la plupart venues de France.
Bustes d’enfants ou de vieillards, silhouettes grandeur nature ou miniatures, bronze, marbre ou onyx, détails intrigants, regards profonds et sensation de mouvement… Elles soulignent la modernité d’une artiste déjà reconnue en son temps, mais parfois réduite à sa relation tumultueuse avec Auguste Rodin, son illustre mentor, ou ses 30 années d’internement en institution psychiatrique. Célèbre en France et en Europe, cette femme au destin hors du commun est encore méconnue aux États-Unis, où seules dix de ses œuvres sont visibles dans des musées. Alors, pour faire découvrir Camille Claudel aux Américains, qui de mieux qu’une Française ?
Anne-Lise Desmas, à la tête du Département des Sculptures et Arts décoratifs du Getty, nous a donné rendez-vous à l’étage du Pavillon des expositions, sous la photo en noir et blanc de Camille Claudel qui ouvre la rétrospective. Carré brun et tailleur élégant, elle est l’une des rares conservatrices françaises aux États-Unis, et la seule à Los Angeles. C’est grâce à elle, et à Emerson Bowyer, le conservateur à l’Art Institute de Chicago, que l’événement a vu le jour, au terme de quatre ans de travail. Tout est parti d’une première acquisition d’une œuvre de Claudel pour le Getty (« Torse de femme accroupie »), en 2018.
« Notre challenge était de réussir à réunir assez d’œuvres pour bien montrer l’artiste au public américain, raconte Anne-Lise Desmas. C’était plus difficile que par le passé, car aujourd’hui, énormément de ses œuvres sont détenues par des musées français et non plus par des collectionneurs. Or il est plus facile de priver un collectionneur d’une ou plusieurs de ses œuvres pendant une année entière qu’un musée, qui a la mission de les exposer au public. Au départ, il y a eu une petite réticence de nos collègues, mais nous les avons convaincus qu’il s’agissait d’une magnifique opportunité de faire briller Camille Claudel à l’étranger ! »
Ces précieuses œuvres, Anne-Lise Desmas les a installées « de manière chronologique et thématique » dans le vaste bâtiment de Richard Meier baigné de lumière naturelle. Les piédestaux ont été regroupés sur des ilôts aux lignes courbes « pour encourager les visiteurs à tourner autour des œuvres », vissés au sol pour se prémunir des risques sismiques, et accompagnés d’écriteaux en anglais et en espagnol. Regard pétillant derrière ses lunettes carrées, la commissaire nous entraîne vers certains des plus grands chefs-d’œuvre de Camille Claudel, dont elle connaît les moindres secrets.
Il y a ce buste de Rodin en bronze « très puissant, très fort et très moderne, avec cette barbe qui devient le socle lui-même ». La célèbre « Valse avec voile » représentant deux danseurs « perdus dans leurs mouvements ». « L’Âge de la Maturité », cette impressionnante sculpture du Musée d’Orsay mettant en scène la jeunesse abandonnée par l’âge mûr, emporté par le vieil âge ou la mort. « On y retrouve tous les éléments qui donnent autant de force et d’expression aux œuvres de Camille Claudel : un grand naturalisme dans ce corps de jeune femme ou ce visage ridé, et ce côté extravagant dans ces draperies trouées, sorties de rien » s’enthousiasme Anne-Lise Desmas.
Diplômée de l’École du Louvre, docteur en histoire de l’art (Paris-Sorbonne) et ancienne pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Anne-Lise Desmas a été embauchée par le Getty en 2008. Sur les hauteurs de Brentwood, elle y profite d’un cadre unique. « Travailler au Getty, c’est être dans une institution qui a une merveilleuse bibliothèque qui me permet d’étudier en continu, un grand centre de restauration, une fondation qui porte des initiatives et des programmes d’éducation dans le monde entier… », apprécie-t-elle. La « grande sensibilité » des Américains pour l’art la touche aussi : « Même quand ils ne connaissent pas les artistes, ils se passionnent instinctivement quand on leur propose de belles expositions ». Celle-ci en fait partie, assurément.
Camille Claudel au Getty Center, à Brentwood (réservations ici). Jusqu’au dimanche 21 juillet. Exposition gratuite mais comptez 25$ de parking, 15$ après 3 pm.