“Je suis un Français qui fabrique des masques aux Etats-Unis“. Quand Alhou Sarre prononce ces quelques mots, il semble lui-même avoir du mal à y croire. Ce graphiste venu de Bobigny (Seine-Saint-Denis) fait partie des quelque 200 petites mains à l’oeuvre dans la Duggal Greenhouse, une grande salle de réception du Brooklyn Navy Yard transformée en manufacture de masques avec visières pour le personnel médical.
Comme les autres volontaires payés recrutés en quelques jours pour participer à cette initiative pilotée par plusieurs entreprises du Navy Yard (Duggal Visual Solutions, Bednark Studio…), il passe sa journée assis à une table à au moins deux mètres de distance de ses camarades. Ce mercredi 1er avril, il coupe des élastiques sur l’une des huit lignes de productions installées dans ce grand espace aux allures de hangar, qui accueillait hier concerts, mariages et émissions de télévision. “Je le vois comme de la manutention, avec le souci de sauver des vies en plus. C’est plus gratifiant. Ça motive“, confie-t-il, le visage masqué et les mains gantées.
Ce Français marié à une Américaine est arrivé à New York début mars, avant les premières mesures de confinement. Il était bien loin de se douter qu’il participerait quelques jours plus tard à ce que certains décrivent comme un “effort de guerre” contre le Covid-19. Lancée il y a deux semaines, la manufacture produit aujourd’hui plus de 20 000 masques par jour – un volume en augmentation constante. D’autres entreprises du Brooklyn Navy Yard, un ancien chantier naval devenu un hub industriel ces dernières années, participent à leur manière au combat contre le virus. La Kings County Distillery, située dans l’entrée du Yard, s’est ainsi mise à faire des gels hydro-alcooliques. Lieu de construction et de réparation de navires militaires américains pendant la Seconde guerre mondiale, le Brooklyn Navy Yard est donc une fois de plus mobilisé, mais contre un ennemi invisible cette fois-ci.
La manufacture de masques a été mise en place en quatre petits jours seulement, avec l’accord des autorités. Parmi ceux qui supervisent cette impressionnante opération, le Franco-Américain Jeremie Gueracague, un solide gaillard diplômé de l’École Supérieure de Commerce Et de Management (ESCEM) et beau-frère d’Alhou Sarre. En temps normal, il est directeur de la fabrication chez Bednark Studio, une société de marketing expérientiel. “Nous sommes très occupés. C’est beaucoup de planification. Il faut organiser la venue des volontaires et s’assurer que les matériaux dont nous avons besoins arrivent“, explique-t-il. Tout ici est réglé comme du papier à musique: chaque volontaire doit passer un contrôle de température en arrivant, se désinfecter les mains et mettre un masque et des gants. “Chez les volontaires, vous avez des personnes issues de l’immobilier, des propriétaires de restaurants, des baristas… Nous leur donnons un emploi, les payons au-delà du salaire minimum et nous aidons les individus en première ligne. Nous participons à l’effort de guerre”.
Ces jours-ci, le Franco-Américain originaire de La Rochelle, où ses parents vivent toujours, tourne à “l’adrénaline“. “À Bednark, on propose souvent des idées folles et on trouve une manière de les réaliser. C’est ce qu’on a fait ici, dit-il. On peut faire une différence, donc on le fait“.