Deux cent cinq dollars le pot de crème anti-âge de 15 ml, 475 dollars celui de 50 ml. Les prix chez Sisley sont exorbitants et la marque française de cosmétiques l’assume.
Elle n’avait pas hésité, il y a plus de vingt ans, à présenter sa première crème solaire comme “la plus chère du monde”. “Les prix sont ceux du coût de la formule, en aucun cas marketing”, précise Arnaud Naintré, habitué à en parler. Depuis six ans, ce Breton de 52 ans dirige la filiale Sisley Amérique. Il est arrivé dans le groupe juste avant la crise économique et financière. “2009 et 2010 ont été des années difficiles pour nous, comme pour l’ensemble du secteur de la beauté, mais nous avons des clientes fidèles. Sisley, c’est leur petit plaisir”.
Depuis près de quarante ans, Sisley ne s’est jamais préoccupé des prix de vente. Un luxe que peuvent s’offrir les propriétaires de la marque à l’orchidée, la famille d’Ornano. L’une des rares dynasties à posséder “autant de glamour, de cachet, et une telle longévité” dans les annales du secteur de la beauté, écrivait le New York Times en 2008. Le président de l’entreprise est Hubert d’Ornano, fils du fondateur de Lancôme et lui-même co-fondateur d’Orlane. Le Comte a racheté Sisley en 1976, quatre ans après sa création par Roland de Saint Vincent et le parfumeur Jean-François Laporte. Sa femme, Isabelle, en est la vice-présidente. Elle supervise la création et la communication de l’entreprise. Leur fils Philippe, avec qui Arnaud Naintré s’entretient toutes les semaines au téléphone, a pris la direction générale à l’âge de 22 ans, laissant de côté ses aspirations journalistiques. Et leur fille Christine, Vice-Présidente International, dirige la filiale britannique.
Arnaud Naintré est donc l’un des dirigeants du groupe mais appartient pas à la famille. “Les relations sont cordiales, les discussions très ouvertes. Nous parlons de tout dans un climat de confiance. Bien sûr, les décisions stratégiques sont prises par la famille, et par elle-seule”. Il a été chassé par un cabinet de recrutement alors qu’il était Vice-Président Amérique de la marque suisse de montres sportives Technomarine, une incursion dans l’horlogerie après vingt années passées dans les cosmétiques L’Oréal et Clarins. “Un beau challenge” pour ce fou de voile, de plongée et de kite surfing.
Symbole du soin haut de gamme à la française, Sisley réalise plus de 80% de son chiffre d’affaires à l’international. La marque est présente dans 90 pays. Elle a été créée pour s’exporter: le nom même, hommage au peintre impressionniste, a été choisi pour être prononcé dans le plus grand nombre de langues. La France reste le premier marché, les États-Unis sont le cinquième, derrière la Chine, la Corée du Sud et l’Italie. Arnaud Naintré s’occupe des 300 points de vente répartis entre l’Argentine, le Mexique, les États-Unis et le Canada. Les soins, maquillages et parfums Sisley sont distribués dans les grands magasins, les department stores (chez Bloomingdale’s, dont celui de la 59e rue à New York, le point de vente phare de l’enseigne aux États-Unis; ou encore chez Saks et Neiman Marcus).
Secrets de fabrication et de chiffres
Dans un marché très concurrentiel, Sisley communique sur sa particularité : la phytocosmétologie. Tous les produits sont créés à base d’extraits naturels de plantes et d’huiles essentielles dans les laboratoires de l’entreprise, en région parisienne, et fabriqués dans son usine de Blois. Feuilles de tomate ou de basilic, mousse de chêne, fleurs de géranium… certains soins et parfums peuvent contenir une cinquantaine d’essences. Le secret des formules, testées par les femmes du clan d’Ornano, restent bien gardé, tout comme les comptes de l’entreprise familiale.
“Nous ne sortons que quatre nouveaux produits en moyenne par an, quand d’autres marques en lancent une quinzaine”. A l’instar de maisons comme l’américaine Estée Lauder, autre entreprise familiale. Sisley, elle, prend son temps. Il a fallu plus de dix ans avant que ne soit approuvée, en 1999, la crème anti-âge “Sisleÿa”, best-seller de l’enseigne française. “Les Américaines, soucieuses de leurs rides, recherchent particulièrement ce genre de crèmes”, explique Arnaud Naintré, incollable sur les soins de la peau. La marque haut de gamme exporte ses produits tels quels, sans aucune modification apportée pour le marché américain. Seuls quelques détails sur le packaging changent. “Sur les étiquettes, on ne peut pas parler d’agent “blanchissant” – whitening – en cosmétiques. C’est autorisé en Europe et en Asie, mais pas aux États-Unis. Il faut parler d’agent “éclaircissant” – lightning.” Question de vocabulaire. Toute allusion à la couleur de peau pouvant être interprétée, outre-Atlantique, comme une atteinte à l’appartenance ethnique.
Arnaud Naintré connaît bien ces spécificités américaines. Il vit à Miami depuis plus de vingt ans, arrivé bien avant d’y diriger la filiale de Sisley “J’aime la douceur de vivre de Floride. Miami est une ville facile. Il fait toujours beau, il y a bien moins de stress que dans une ville comme New York”, précise le Managing Director. Et c’est une localisation idéale entre les deux hémisphères. Arnaud Naintré voyage de plus en plus en Amérique du Sud, un marché en pleine expansion. Il ouvrira un bureau à Sao Paulo, au Brésil, le 1er janvier prochain. “Ce n’est pas facile car les barrières douanières y sont importantes, les taxes très élevées. Mais il y a un potentiel formidable”.
Il vient également d’inaugurer le troisième spa de la région Amérique à l’hôtel Christopher, à Saint Barth (les deux autres sont au Carlyle à New York et au Sofitel de Santa Clara, à Cartagène, en Colombie). Arnaud Naintré en revient, “fallait bien le tester”, assure-t-il avec humour. Il évoque la sortie d’une nouvelle crème anti-âge à l’automne 2013. Le prochain petit luxe des Américaines…