Professeur d’économie au MIT, spécialiste de commerce international, Arnaud Costinot a récemment vu l’un de ses articles cité par Stephen Miran, le président du Council of Economic Advisors de la Maison Blanche, pour justifier les hausses de droits de douane si chères au nouveau président. Ni une ni deux, il s’est fendu, avec son co-auteur Andrés Rodríguez-Clare de UC Berkeley, d’une tribune dans Le Monde. Les deux économistes y expliquent que les conclusions de leur article ne peuvent être appliquées telles quelles et qu’imposer des droits de douane de 20% ou plus « est une très mauvaise idée ».
Arnaud Costinot naît à la fin des années 1970 à Dunkerque. Lui qui a toujours voulu étudier le commerce international a été le témoin, enfant, des conséquences de la mondialisation sur sa ville portuaire. « J’ai vu l’activité du port ralentir, sous l’impact de la concurrence internationale d’Anvers et de Rotterdam, se souvient-il. La construction navale s’est déplacée vers la Corée du Sud puis la Chine. Mon grand-père travaillait sur les chantiers navals, mon père sur le port et tous deux ont souffert de plein fouet de cette baisse d’activité. » De fait, les années 2000 verront une accélération dramatique des importations chinoises et la perte de beaucoup d’emplois manufacturés dans les pays occidentaux. « Nous vivons aujourd’hui, aux États-Unis comme en Europe, le contrecoup politique du ‘China shock’ », analyse l’économiste.
Après des études très françaises à l’École Polytechnique et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Arnaud Costinot vient faire sa thèse à Princeton, avec notamment Paul Krugman comme professeur. Thèse en poche, alors qu’il avait prévu de rentrer en France, il se voit proposer un poste d’enseignant à UC San Diego. Trois ans plus tard, il quitte la Californie pour Boston et le MIT, où il retrouve une autre économiste française de renom, la Prix Nobel Esther Duflo.
Pour les pans de l’industrie occidentale mis à mal par la concurrence internationale, les droits de douane peuvent-ils être une solution ? « Nous avons tous en tête l’argument ricardien du libre-échange, un commerce international sans entrave permet aux pays de se spécialiser sur leurs avantages comparés, et tout le monde en bénéficie, commence Arnaud Costinot. Pour autant, en théorie on peut justifier des tarifs douaniers non nuls : quand je taxe des biens étrangers, je réduis la demande pour ces biens, ce qui oblige les producteurs à baisser leurs prix. En théorie donc, si un pays impose, de manière isolée, ce type de taxes et que les autres pays ne réagissent pas, alors il peut en extraire des revenus supplémentaires tout en minimisant l’impact sur les consommateurs. Mais en réalité, la riposte des autres pays est inévitable, et une guerre commerciale est très facile à déclencher ».
De fait, ce qu’Arnaud Costinot appelle « la première guerre commerciale de Trump » en 2017-2018, a vu la Chine riposter tit for tat aux droits de douane américains. Quel en a été l’impact ? « Nous n’avons constaté aucun effet sur le prix des biens chinois avant droits de douane, donc les producteurs chinois n’ont pas baissé leurs prix, rappelle l’économiste. En revanche, les importateurs américains de ces produits chinois ont dû absorber une partie des coûts en réduisant leurs marges. In fine, les prix en magasin pour les consommateurs américains n’ont pas été très affectés, mais la profitabilité des importateurs a souffert. » Dit autrement, ce sont des entreprises américaines qui ont pâti des droits de douane, plus que les industriels chinois.
À noter cependant que tous les importateurs américains n’ont pas souffert de la même façon : « Il y a énormément de lobbying aux États-Unis autour de la politique commerciale, explique Arnaud Costinot. Les entreprises américaines peuvent demander des exemptions à l’administration. Des chercheurs de l’université de Dartmouth ont montré qu’en 2018, plus de 50 milliards de dollars de produits chinois importés aux États-Unis et soumis légalement aux droits de douane ont pu bénéficier d’une exemption de tarifs douaniers ! » Ces chercheurs sont en train de collecter des données pour mieux comprendre qui a obtenu ces exemptions.
Les distributeurs américains pourront-ils à nouveau prendre sur leurs marges les nouveaux droits de douane du président Trump ? Au vu du niveau beaucoup plus élevé des droits de douane appliqués ou annoncés, les économistes de tous bords redoutent une pression inflationniste sensiblement plus élevée qu’en 2018.
Et si les prix finaux des produits importés augmentent, peut-on attendre la ‘renaissance industrielle américaine’ promise par la nouvelle administration ? « La première guerre commerciale de 2018 n’a pas eu d’effet significatif sur le secteur manufacturé aux États-Unis, analyse Arnaud Costinot. Le déclin de pans entiers de l’industrie américaine est dû en partie à la concurrence chinoise, mais pas seulement. En principe, des droits de douane très ciblés, par exemple sur les jouets importés de Chine, pourraient accroître la demande pour les jouets ‘made in America’ et bénéficier aux acteurs de ce secteur. Mais comme pour l’agriculture, ce ne sera pas sans coût pour tout le reste de la population, qui paiera plus cher ces produits. »
Au-delà des tarifs, les discours et les menaces de Donald Trump, même s’ils ne sont pas suivis d’effet, nuisent à l’économie américaine, juge le Français. « Il y a eu beaucoup de travaux de recherche sur l’impact de l’incertitude sur les flux commerciaux, rappelle-t-il. Ils montrent que dans un monde incertain, les acteurs économiques investissent moins, et les échanges diminuent. Cette impression que ‘tout peut arriver’ incite les entreprises à prendre leurs précautions. »
Si ce scénario se confirme, peut-on revenir en arrière ? Pas si facile, selon Arnaud Costinot, qui rappelle que les droits de douane imposés par Trump en 2017-2018 n’ont pas été supprimés par Joe Biden. Politiquement, la suppression de ces taxes est complexe car peut être interprétée comme un cadeau offert aux importateurs étrangers. « Supprimer des droits de douane, avec n’importe quel partenaire commercial et tout particulièrement la Chine, dans le contexte actuel, est politiquement radioactif et très difficile à faire pour les gouvernants. »