Après le drame de Uvalde au Texas, comme souvent après des fusillades aux États-Unis, une partie de la presse américaine fait le rapprochement entre le grand nombre d’armes en circulation dans le pays et la choquante exception américaine des mass shootings à répétition. Pourtant, la comparaison des statistiques françaises et américaines le montre : si un lien semble exister, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue.
Première difficulté sur le chemin de la comparaison franco-américaine en la matière : la France ne distingue pas officiellement les homicides par armes à feu de ceux commis par d’autres moyens. Néanmoins, d’après diverses études, réunies notamment par le site Gun Policy, environ un quart à un tiers des homicides français sont commis par arme à feu (derrière les armes blanches et les coups et violence) alors que c’est le cas de 80% de ceux commis aux États-Unis. Ainsi avec une centaine d’homicides par balle en France, le taux avoisine 0,15 pour 100.000, alors qu’il est d’environ 4,5 pour 100.000 aux États-Unis. Soit trente fois plus.
À première vue, le rapport entre le nombre d’armes à feu en circulation et le nombre de morts est frappant. Plusieurs études confirment qu’il existe une corrélation directe entre nombre d’armes en circulation et nombre de morts (homicides et suicides) aux États-Unis.
La comparaison directe entre la France et les États-Unis semble abonder dans ce sens. Bon an mal an, le nombre de morts par arme à feu (comprenant homicides, suicides et accidents) s’établit autour de 2,5 personnes pour 100.000 habitants en France chaque année. Aux États-Unis, ce taux est de plus de 12 pour 100.000 habitants. Il y a donc environ 5 fois plus de personnes qui meurent chaque année par armes à feu aux États-Unis qu’en France. Or c’est à peu près le même rapport qu’on retrouve lorsqu’on s’intéresse à la possession privée d’armes à feu. Il y a entre 15 et 20 armes à feu en circulation (possédées par des personnes privées) en France pour 100 habitants, pour quelque 120 armes pour 100 habitants aux États-Unis (selon notamment Gun Policy, le site spécialisé de l’Université de Sydney).
Seulement, lorsqu’on regarde les statistiques de plus près, cette belle symétrie s’effondre. D’abord, sur les 40 dernières années, le nombre d’homicides (par armes à feu ou pas) a baissé dans des proportions comparables dans les deux pays. En France, il est passé de 3 à 1,3 pour 100 000 habitants entre 1993 et 2017. Aux États-Unis, on est passé de plus de 10 homicides pour 100.000 habitants au début des années 1980 à un peu plus de 5 ces dernières années. Bref, dans les deux pays le taux d’homicides a baissé de moitié environ alors qu’aux États-Unis le nombre d’armes à feu s’envolait, tandis qu’il baissait en France.
La causalité entre nombre d’armes à feu et mortalité n’est donc pas évidente. Le suicide en est le meilleur exemple. Le taux de suicide, tous moyens confondus, dans les deux pays est en effet proche (de 13 à 15 pour 100,000 -il est nettement plus élevé en France que dans beaucoup d’autres pays européens), alors que le taux de suicide par arme à feu est considérablement plus élevé aux États-Unis (7 pour 100.000 environ) qu’en France (1,5 pour 100.000), selon les statistiques disponibles de Gun Policy.
En clair, les Français ont moins d’accès aux armes à feu que les Américains mais ils trouvent d’autres moyens de mettre fin à leur vie. La conclusion semble logique. Mais alors pourquoi dans le cas des mass shootings fait-on si facilement le bond en concluant que l’exception américaine en la matière est forcément liée à l’abondance d’armes ? En Europe, le taux de circulation d’armes à feux varie grandement d’un pays à l’autre (il y en a cinq fois plus en France qu’au Royaume-Uni) sans que l’un ou l’autre des pays ne se distingue par le nombre de fusillades. Surtout, pourquoi y aurait-il un lien pour les fusillades alors que les meurtres eux, on l’a vu, y échapperaient ? Aux Etats-Unis, les fusillades de masse semblent obéir à une logique différente: elles sont en augmentation constante depuis les années 1970. Les troubles psychologiques sont souvent mis en avant, mais sans que le lien direct puisse être établi. S’il y a une augmentation de ces troubles elle est très inférieure à l’explosion du nombre de tueries dans le pays.
Les raisons éventuelles sont d’autant plus difficiles à identifier que l’horreur de ces drames rend souvent bien vaines toute tentative de discerner le motif du tueur. Mais une chose est sûre il y a bien là une exception américaine. Et, une fois n’est pas coutume, les statistiques ne nous aident guère à la comprendre.