Un parasol et une table de jardin installés sur un parking. C’est tout ce qu’il reste des bureaux du domaine Signorello, un des prestigieux domaines vinicoles de la Napa Valley. « Ici se trouvaient notre salon de dégustation, nos bureaux ainsi que l’appartement du patron », dit le vigneron Pierre Birebent en pointant du doigt le bâtiment complètement ravagé par les flammes. Seuls la terrasse de la piscine à débordement, un pan de mur aux pierres noircies et deux colonnes couleur ocre subsistent. Le reste est réduit à l’état de cendres.
Situé au sud de l’Atlas Peak, Signorello fait partie de la vingtaine d’exploitations ravagées par les incendies de Californie du Nord qui sévissent depuis le 8 octobre. « J’ai reçu un coup de téléphone à 23 h me disant qu’il y avait un feu dans le sud de la vallée. J’ai sauté dans ma voiture. Quand je suis arrivé, le jardin était en feu. Avec deux de mes employés, on a essayé d’arroser, mais le feu et la fumée étaient trop forts. On a été obligé de reculer. Puis le bâtiment s’est enflammé ». En vingt années passées à prendre soin de ce domaine, le vigneron n’a « jamais vu ça ».
Pierre Birebent commence tout juste à encaisser le coup. « Jeudi, quand on a pu accéder au domaine et constater les dégâts, les larmes coulaient. Une semaine après, il faut se faire à l’idée. Les assurances sont là pour ça ». Par chance, les 15 hectares de vignes n’ont pas été touchés. « Le feu s’est arrêté pile au niveau des cuves. Allez savoir pourquoi… », dit-il, en montrant, sans trop y croire, un crucifix accroché en haut d’une cuve par ses employés « très croyants ».
Les cuves abritent 19.000 litres de cépage Cabernet Sauvignon, récoltés fin septembre, tout juste une semaine avant le début des feux. « 95 % de la récolte ont déjà été effectués », indique Pierre Birebent. Les cuvées des années antérieures sont, elles, hors de danger. « Nos stocks se trouvent dans un entrepôt au sud de Napa ».
Habituellement, la bouteille de Signorello se vend environ 150 dollars mais le vigneron craint que le jus en fermentation soit altéré par le « smoke taint » (l’odeur de fumée). Pour le savoir, il faut qu’il goûte et analyse chacune des cuves. « Si c’est le cas, on fera une cuvée spéciale appelée le vin miraculé », ironise-t-il.
Jean-Noël Fourmeaux n’a pas la chance d’avoir la majorité de sa récolte déjà vendangée. « Mes trois vignobles sont sur Mount Veeder, la montagne qui brûle toujours », soupire le propriétaire de VGS Château Potelle qui attend toujours un coup de fil du sherif lui donnant le feu vert pour accéder à ses vignes. « Jeudi dernier, à partir des images de la carte infrarouge, j’ai pu voir que 50 % de mes vignes avaient brûlé, pour le reste je ne sais toujours pas ».
Les vendanges de ses différents cépages bordelais – près de 60 hectares – se font plus tardivement, car l’exploitation se situe à 2.300 pieds d’altitude (700 mètres). Dans la vallée, la récolte débute mi-septembre tandis qu’en montagne, elle commence généralement mi-octobre. « Nous étions en train de récolter quand le feu s’est déclaré dimanche (8 octobre, Ndlr). Lorsque nous avons fini à 6h du matin, les routes étaient bloquées. Nous avons dû faire un détour pour arriver à notre winery », raconte Jean-Noël Fourmeaux.
Mais en arrivant à son établissement de production de Napa, le vigneron n’avait plus d’électricité. « Nous avons mis les raisins dans une cave froide et nous avons dû attendre deux jours avant de pouvoir lancer la transformation ». Il s’agit de la seule récolte que Jean-Noël Fourmeaux a pu sauver. « C’est à peine 10 % de nos vignobles, c’est rien du tout ! »
Sans savoir si certaines de ses parcelles ont survécu aux flammes, le vigneron ne se fait pas d’illusion. « Cela fait des jours que les vignes baignent dans cette odeur de fumée. Il y a des traitements pour enlever le goût de fumée mais ils diminuent la qualité du vin », déplore-t-il en concédant que « les vins n’auront certainement pas le même caractère que les années précédentes ».
Concernant les parcelles parties en fumée, il faudra attendre cinq ans pour replanter et pour que les vignes fleurissent à nouveau. « Il faut compter entre 100.000 et 125.000 dollars pour replanter un acre de vignoble (soit 0,4 hectare, Ndlr) », estime Jean-Noël Fourmeaux depuis son salon de dégustation situé à Saint Helena, à 20 miles au nord de Napa.
« Nous attendons les visiteurs avec un grand sourire mais c’est mort ici, il n’y a plus de touristes. Nous allons faire un mois catastrophique », s’exclame-t-il, en envisageant une perte de 240.000 dollars de chiffre d’affaires sur le mois d’octobre, pour son activité dégustation. Sans parler du fait que cette année, il ne fera « pas beaucoup de rouge ».