On peut être un écrivain à succès en France depuis plus de dix ans, avoir publié huit romans chez Gallimard et vendu 100.000 exemplaires de l’un d’eux… et repartir de zéro aux Etats-Unis. C’est ce qui arrive Antoine Bello.
Malgré diverses tentatives, l’auteur des Falsificateurs, qui vit aux Etats-Unis depuis 14 ans, n’a pas trouvé d’éditeur dans son pays d’adoption. Il est loin d’être le seul écrivain français dans cette situation, mais il est l’un des rares à avoir voulu tenter sa chance coûte que coûte.
Il a ainsi négocié la reprise de ses droits anglo-saxons à Gallimard, et entrepris lui-même de démarcher des éditeurs américains. Cela ne l’a pas empêché de faire chou blanc : pour le moment, aucun agent littéraire – le mur à franchir pour contacter les maisons d’éditions – n’a mordu à l’hameçon.
A New York, de bonnes ventes en France ou le prix France Culture-Télérama (qu’il a décroché pour Les Eclaireurs) ne servent absolument à rien.“Le message que j’ai eu, c’est qu’on s’en fiche que vous ayez eu du succès en France. Les maisons d’éditions reçoivent tellement de manuscrits, elles n’ont aucune envie de se compliquer la vie avec l’aléa d’une traduction. Alors qu’elles ont plein de bons livres américains qui arrivent tous les jours”, explique-t-il, rationnel et calme.
Méthodique, Antoine Bello est alors passé à l’étape suivante : il a fait traduire lui-même cinq de ses romans, qu’il a envoyé à des agents – afin qu’ils aient la même réception que n’importe quel manuscrit américain. “J’ai envoyé un e-mail selon les codes de la profession, avec un petit pitch, à une vingtaine d’agents. Que des refus. Et quand j’ai eu un feed-back, on m’a dit que c’était trop intello, ou pas assez tourné vers l’action, bref, pas des best-sellers.”
Antoine Bello n’a pourtant pas baissé les bras : en ce mois de mai, il va publier cinq de ses romans traduits en anglais sur Amazon, sans maison d’édition. Avec le risque de se trouver complètement perdu dans la masse – son succès dépendra beaucoup des ventes et des commentaires de lecteurs sur le site.
Il insinue que ce travail de promotion n’a rien d’une partie de plaisir. “Honnêtement, ce n’est pas ce qui m’emballe, je préfère cent fois écrire”, confie-t-il. Pour ce père de quatre enfants, qui vit avec sa femme au nord de New York, il s’agit surtout d’une quête de reconnaissance. Et de cohérence avec l’endroit où il vit et où il construit sa vie. “Je veux pouvoir dire à des amis américains ou des gens que je rencontre ici qu’ils peuvent me lire en anglais, et mettre un pied dans le marché.”
Bref, pas du tout une question de porte-monnaie. De ce côté, Antoine Bello laisse entendre que tout va bien. A 46 ans, il continue de récolter les fruits de sa vie précédente : celle de patron d’une start-up de 400 personnes, rachetée à “un très bon prix” par un fonds de private equity en 2007.
Ecrivain-entrepreneur, ce n’est pas un pedigree commun. Même si son entreprise avait tout à voir avec l’écriture. Ubiqus, la société qu’il a créée au début des années 90 alors qu’il était étudiant à HEC, proposait des services de transcriptions écrites de réunions, séminaires ou conférences à des entreprises. C’est au travers d’Ubiqus qu’Antoine Bello est venu s’installer à New York en 2002, peu après que sa société y a ouvert un bureau.
Cette vie d’entrepreneur n’est pas complètement derrière lui. Elle imprègne toujours ses romans, tandis qu’Antoine Bello s’est mué en business angel, investissant dans des start-ups, individuellement et via des fonds d’entrepreneurs. Il a des parts dans une douzaine de sociétés, la moitié en France, l’autre aux Etats-Unis. “J’aime beaucoup cela, c’est assez grisant. Mais je ne veux pas non plus que cela me prenne trop de temps”, commente-t-il.
Il dit largement préférer écrire des livres, et passe de longues heures à se documenter sur ses sujets de recherches – en ce moment : la finance, l’intelligence artificielle – en particulier sur Wikipedia. Une encyclopédie qui le fascine, et qui l’inspire dans ses livres.
“On peut y absorber tout le savoir humain de manière mesurée, nuancée, raisonnable. Alors que sur Internet, c’est si facile de verser dans l’extrémisme et l’insulte. Wikipedia tourne avec 200 salariés, qui font un travail formidable. Ils ont une mission, un projet universel et méritent d’être encouragés”, dit Antoine Bello, qui contribue ou corrige régulièrement des pages.
En 2015, il a fait un don de 50.000 dollars à la fondation Wikimedia, l’équivalent d’une année de ses droits d’auteurs. Dommage que Wikipedia ne soit pas une maison d’édition.