Anne-Juliette Maurice entre dans Arabelle, le restaurant coquet du Plaza Athénée, où le petit-déjeuner se termine. “Good Morning Mrs Maurice“, lui lance le personnel. Tirée à quatre épingles, la nouvelle directrice de l’hôtel mythique de la 64e rue n’en revient toujours pas. “Ca fait seulement trois semaines que j’ai commencé et parfois je dois me pincer pour me convaincre que c’est vrai“.
Le Plaza Athénée New York, 142 chambres, propriété du milliardaire thaïlandais Charoen Sirivadhanabhakdi (dont la fortune est estimée à 9,9 milliards de dollars selon Forbes), est une institution. Elle accueille des têtes couronnées, des leaders politiques, des hommes d’affaires et des personnalités du divertissement.
Une femme pour diriger un grand hôtel à New York? C’est rare, mais ça l’est encore plus pour une Franco-américaine – Mme Maurice est née d’une mère française et d’un père belge, à New York. “Je suis la seule que je connaisse, glisse-t-elle. Il faut une endurance particulière, être disponible 24h sur 24. La plupart des femmes ne veulent pas se plier aux règles du jeu, ou n’en sont pas capables car elles ont des familles et ont trop de choses à faire“.
En écoutant Anne-Juliette Maurice, on comprend pourquoi elle est arrivée là. Exigeante, soignée, courtoise, parfois “choquée” par la désinvolture et l’ “indiscrétion” des Américains, elle ne voyage qu’en Air France, quelle que soit la destination – c’est la seule compagnie aérienne qu’elle trouve rigoureuse. Elle a découvert l’hôtellerie grâce à un ami, qui voyait pour cette diplômée du Lycée français de New York et de l’Université de Hartford, bavarde et pas timide pour un sou, un avenir dans le secteur. Elle entre au Parker Meridien comme directrice des ventes. L’expérience lui plait. C’est le début d’une carrière qui l’emmènera dans les plus grands hôtels et groupes hôteliers: Essex House, Swissotel The Drake, le Langham Place et le Morgans Hotel Group, qui gère à New York le Mondrian et le Hudson Hotel notamment.
De New York à Marne-la-Vallée
Elle effectue une parenthèse française d’un an dans ce parcours dans les hautes sphères de l’hôtellerie. Et non des moindres. En 1991, l’ami qui lui avait mis le pied à l’étrier la contacte avec une nouvelle offre : participer au lancement de Disneyland Paris, à Marne-la-Vallée. Bilingue, elle correspond au profil. “Il m’a dit: tu m’as fait confiance dans le passé. Fais-moi confiance aujourd’hui. C’est une superbe opportunité.” Elle est chargée d’ouvrir l’Hôtel New York, l’un des nombreux hôtels du parc d’attraction. Elle accepte.
Loin de New York, le séjour en France est agité. La règlementation du travail, contraignante. L’atmosphère, pesante. Sur fond d’anti-américanisme, les blocages se succèdent. “Les grèves n’arrêtaient pas, les camionneurs ont bloqué l’entrée de Disneyland car ils disaient qu’on avait pris des terres aux paysans. La SNCF a refusé d’amener le train jusqu’à Marne-la Vallée car ils ne voulaient pas voir des Américains s’installer“, se souvient-elle. Le parc ouvre finalement en 1992. Et Anne-Juliette Maurice ne regrette rien. “C’était une expérience unique. J’ai travaillé avec des gens extraordinaires du monde entier. J’ai passé nuit et jour sur place. On travaillait 17-18h par jour“.
Alors qu’elle prend les commandes du Plaza Athénée New York, elle garde un bout de Marne-la-Vallée en elle. “J’ai pris le sens des formalités des Français avec moi. Notre clientèle ici veut ce respect. On a des clients richissimes. On ne les embête pas, on ne leur pose pas de questions. On ne leur parle que pour les saluer. Ils peuvent facilement rentrer ou sortir sans qu’on leur adresse la parole.”
Comme à Disneyland, elle ne compte pas ses heures. “Dans ce métier, c’est comme ça“. Et cela n’est pas près de changer. Elle sera chargée de superviser la rénovation prochaine de l’hôtel. Celui-ci subira une “amélioration” (elle n’aime pas dire “modernisation“), tout en conservant son cachet, hérité des années 20.
Le Plaza Athénée doit aussi ouvrir dans d’autres “grandes villes américaines”, indique Mme Maurice. Celles-ci n’ont pas encore été décidées. “Je veux faire du Plaza Athénée le meilleur hôtel de New York, affirme-t-elle. J’ai toujours eu beaucoup d’énergie, ça vient de l’intérieur. Quand on aime ce qu’on fait, on n’a pas d’heures“.