Stephen Covey, Brené Brown, Dale Carnegie… Aux États-Unis, ce ne sont pas les auteurs qui manquent pour tout apprendre du monde des affaires. Mais, au fait, quid de Jean de La Fontaine ?
Une question pas si bizarre pour Alexis Milcent. Ce Français de New York, responsable du développement de la Fresque du Climat aux États-Unis, est aussi le créateur de La Fontaine et Cie, un service de coaching en entreprise qui s’appuie sur des œuvres littéraires françaises. En utilisant les fables du célèbre auteur du XVIIe siècle et d’autres textes empruntés aux grandes plumes françaises, il invite managers et simples employés à gamberger sur des sujets comme le travail en équipe, le courage en réunion ou les fondamentaux de la vente. Il est intervenu dans plusieurs sociétés et associations françaises à New York, comme Accueil New York ou le réseau des anciens de HEC.
« La Fontaine et Cie n’est pas un espace d’enseignement, mais un endroit d’auto-création de la pensée qui amène les employés sur un terrain où ils ne sont pas habitués à se rendre dans le cadre de l’entreprise », dit-il autour d’un café dans son quartier, Chelsea.
Le monde corporate et celui des lettres s’entremêlent depuis longtemps dans la vie d’Alexis Milcent. Après s’être découvert une passion pour l’analyse de texte en prépa littéraire, le Versaillais est accepté à HEC, dont il avait décidé de présenter le concours d’entrée en vue de s’entraîner aux épreuves de dissertation de l’École normale supérieure (ENS).
Au bout de sa première année au sein de l’école de commerce, il effectue un stage en usine. « Un DRH m’a dit: ‘les vrais gens sont là, pas dans une copie de philo’. Il n’avait pas tort ». L’étudiant épouse donc la voie de l’entreprise. Il passera quinze ans entre différents postes chez Michelin, dont trois en Chine en tant que consultant interne spécialisé dans la conduite du changement.
Même si la littérature l’accompagne dans ses activités – il s’occupe notamment du marketing des cartes routières, ce qui le ramène dans le monde du livre et de l’impression – il a le sentiment que son lien avec l’univers des lettres s’effiloche. « Je n’en ai voulu à personne, sauf à moi-même. Je m’étais mis dans le moule, j’essayais de réfléchir comme tout le monde. Je lisais moins… ».
Tout en travaillant pour le géant du pneu, il fonde donc LibriSphaera, une maison d’édition qui se spécialise aussi dans la fabrication artisanale de livres. Il décide de s’y consacrer à plein temps quand il s’installe à New York fin 2019 pour suivre son épouse après la page Michelin. « J’avais le choix entre aller à Clermont-Ferrand (où se trouve le siège de la compagnie, ndr) ou tenter une nouvelle aventure à New York. Malgré toutes les qualités de la première ville, j’ai choisi la seconde ! », sourit-il.
Après une année 2020 difficile, il cherche, avec son associé Philippe Fouchard, des manières d’étendre leur activité. Ils s’aperçoivent qu’une grande partie de leurs nouveaux clients viennent du réseau professionnel LinkedIn. « On s’est demandé comment on pouvait aller chercher sur cette plateforme des gens qui ont un intérêt pour le livre », se souvient-il. Son idée: créer une newsletter hebdomadaire sur la « pertinence » des fables de La Fontaine, dont on fêtait alors (en 2021) le 400e anniversaire, dans le milieu de l’entreprise. Rapidement, la démarche suscite de l’intérêt de la part de podcasteurs. Trois cent personnes s’inscrivent à l’infolettre.
En 2022, il décide d’aller plus loin et de lancer des ateliers d’une heure-et-demie. Il s’anime quand il donne des exemples des textes qu’il soumet à la sagacité des participants : Le singe et le léopard de La Fontaine pour évoquer « l’art de la vente », le poème Aube de Rimbaud pour parler de la gestion de projet, ou encore Harmonie d’un soir, un texte de Charles Baudelaire basé sur des répétitions qu’Alexis Milcent utilise pour aborder le thème de la performance en équipe…
Au total, il utilise une quarantaine d’œuvres, de Marcel Proust, Victor Hugo, Arthur Rimbaud et bien d’autres titans de la littérature française. « Il ne s’agit pas un book club ou d’un café lecture, mais d’un cercle de lecture à visée professionnelle et à impact, insiste-t-il. À la fin, des actions doivent être prises ».
Son objectif : développer l’offre en proposant des séances individuelles – pour les managers, par exemple – ou collective. « Il y a une curiosité de la part de mes interlocuteurs, mais aussi un risque perçu, Certains craignent que l’activité ne mobilise trop de temps et d’employés dans un contexte où les ressources sont contraintes. C’est mon job de les rassurer ». Qui a écrit: « Rien ne sert de courir; il faut partir à point » ?
Le site de La Fontaine et Cie