Donald Trump se moquait de son prénom et parlait d’« insulte au pays » si elle devenait Présidente. Les ultra conservateurs du Congrès répètent qu’elle ne fait « rien de ses journées » et préparent contre elle une procédure de destitution. Même ses alliés démocrates auraient « perdu espoir en elle », selon le New York Times. Kamala Harris est l’une des personnalités politiques les plus critiquées aux États-Unis, et le restera d’ici à l’élection présidentielle de 2024. Qu’elle figure à nouveau sur le « ticket » du président octogénaire sortant, Joe Biden, s’il se représente devant les électeurs, ou qu’elle soit elle-même candidate à l’investiture démocrate, l’actuelle vice-présidente se retrouvera sous le feu des projecteurs. Pourtant, qui peut prétendre la connaître ? Qui est-elle ?
Alexis Buisson a cherché à le savoir. Le journaliste – que les lecteurs de French Morning lisent régulièrement – s’est intéressé à celle qui peut, à tout moment, occuper le Bureau ovale en cas d’incapacité du président américain. Sa biographie « Kamala Harris l’héritière », publiée ce jeudi 16 février aux éditions L’Archipel, est le fruit d’une enquête minutieuse sur l’ancienne procureure de Californie et ex-sénatrice au Congrès qui, en devenant la première femme de couleur à occuper le poste de vice-présidente, a déjà marqué l’histoire. Quel que soit son avenir, « elle n’aura pas raté sa vie », selon la bonne formule de l’historien Joel Goldstein reprise dans l’ouvrage.
« Le fait qu’elle puisse devenir, à tout moment, le personnage politique le plus puissant de la planète m’a incité à écrire ce livre, confie Alexis Buisson. C’est vertigineux de penser qu’une personne que l’on ne connaît pas vraiment, dont on saisi mal le parcours et les valeurs, peut devenir, quasi instantanément, la locataire de la Maison Blanche. » Le journaliste a également été marqué par une rencontre en Géorgie, en décembre 2020 : un père de famille indien lui décrit alors combien Kamala Harris a inspiré sa fille de 9 ans en devenant la première enfant d’immigrés – père jamaïcain et mère indienne – à accéder à la vice-présidence. « Kamala Harris a déjà un impact et j’ai essayé de comprendre pourquoi elle restait une inconnue. »
De sa jeunesse entre l’Inde et les États-Unis, en passant par Montréal – ville dont Kamala Harris a aimé le cosmopolitisme mais qui n’a jamais pu lui ôter la nostalgie de sa Californie natale -, de ses études de droit à son ascension politique, Alexis Buisson décortique toutes les étapes clés de la vie de la démocrate, les personnes qui l’ont influencée et qui permettent de comprendre sa personnalité cartésienne d’aujourd’hui – héritée notamment de sa mère scientifique. Sans avoir obtenu d’entretien avec la vice-présidente elle-même, il a réalisé des dizaines d’interviews de membres de sa famille et de ses proches, d’anciens camarades d’université et collègues de travail, de spécialistes de la vie politique américaine, mais aussi d’adversaires politiques.
« Kamala Harris est, de manière générale, sous-estimée, estime Alexis Buisson. Lors de sa première élection en 2003, elle était un peu connue dans les cercles de San Francisco mais n’avait aucune expérience politique. Depuis, elle a réussi à s’imposer et n’a perdu aucune élection, à l’exception de celle des primaires démocrates de 2020. » Le bilan de ses deux années de vice-présidente ? « Ce qu’on demande aux vice-présidents, c’est d’être solidaires et en appui du président. Si on la juge la-dessus, elle a été une bonne vice-présidente – sur l’avortement, la promotion de l’agenda Biden sur le climat, les infrastructures… » En revanche, sur le dossier de l’immigration, dont le président américain l’avait spécialement chargée – les critiques pleuvent. « Joe Biden pensait lui donner l’occasion de s’imposer. Or l’immigration à la fontière sud du pays est une question impossible à résoudre ».
Le Bureau ovale semble encore loin pour Kamala Harris, le chemin pour y parvenir semé d’embuches. Du fait même d’être la vice-présidente du président sortant. « Si le mandat du démocrate est considéré comme un échec, elle se trouverait dans la position inconfortable d’assumer un bilan qui n’est pas complètement le sien ou de devoir rompre avec son chef » analyse le journaliste dans son livre. Et de rappeler que sur les 18 vice-présidents qui se sont présentés aux primaires pour la présidentielle, seuls 6 ont été élus, dont Joe Biden. « Tout dépendra du contexte. Quand il y a une situation de crise, les électeurs ont tendance à se rabattre sur des profils qu’ils connaissent, généralement un profil masculin – la présidence est une fonction très masculinisée. »
Pour accéder à la plus haute marche du pouvoir, Kamala Harris aura donc à surmonter le sexisme, « mais aussi le racisme » souligne le biographe. Reste un obstacle idéologique : « il faut qu’elle arrive à exprimer une vision claire pour la société américaine. Elle ne peut pas se positionner seulement comme la dauphine de Joe Biden ». Elle a encore un peu de temps pour articuler sa vision de l’Amérique. « Finalement, elle n’a que 58 ans, conclut Alexis Buisson. Elle est encore jeune ! »
« Kamala Harris l’héritière » aux éditions L’Archipel.
Si vous souhaitez entendre Alexis Buisson parler de son livre, rendez-vous le samedi 4 mars à la librairie Bonjour Books DC à Washington (s’inscrire ici) ou à la librairie Albertine de New York le mardi 14 mars (s’inscrire ici).