L’aménagement et la décoration du café Juliette (Williamsburg) ? Prune (East Village) ? Felix (Soho) ? C’est lui. Les cafés Léon, Belcourt, Calliope, Belleville ou La Jumelle (certains ont fermé depuis) ? Lui encore. D’autres s’ajouteront sur la liste. A 61 ans, Alex Gherab, n’a pas l’intention de s’arrêter, surfant sur la constante popularité du bistrot à la française à New York.
« Les Américains, ils adorent. Pour eux, le bistrot, c’est Paris. Et c’est vrai que c’est magnifique. Dans un café, quand tu as une belle table, une belle chaise, et dessus, une belle femme qui croise ses jambes, ça fait super bien », dit cet aimable barbu, petit mais costaud, que l’on peut croiser en ce moment sur le chantier du bistrot La Gamelle, sur Bowery.
A Roubaix et à Tourcoing, on l’appelle « l’Américain ». Car même s’il a gardé son béret, cela fait plus de 40 ans qu’Alex Gherab a quitté le Nord de la France pour s’installer à New York.
Depuis 1975, ce Français écume les brocantes et vide-greniers de France et de Belgique à la recherche de tabourets de bar, de tables en émail, d’enseignes publicitaires rétro, de comptoirs en zinc ou en étain, de banquettes en cuir patiné ou de chaises art déco. Il les revend aux Etats-Unis via sa société, Belleville Antique. « J’ai un entrepôt de 2.000 pieds-carrés à trois heures de New York, où je stocke tout », raconte-t-il.
Son business est bien organisé. « Je ne travaille qu’avec de l’ancien original. J’ai un frère qui gère une société de démolition à Lille, il me tient au courant quand il y a des meubles à récupérer. Tous les ans, je vais faire la grande braderie de Lille, et aussi celle d’Amiens. A chaque fois, je reviens avec des containers. J’ai aussi des pickers qui travaillent pour moi, ils récupèrent des meubles un peu partout et me les revendent. C’est triste, mais en France, les beaux bistrots ferment, ou sont réaménagés avec du neuf. » Il vend aussi de vieux meubles industriels américains à des clients français.
L’import-export, Alex Gherab est tombé dedans lorsqu’il est arrivé à New York, à 19 ans. Il dénichait des 45 tours aux Etats-Unis – « des disques obscurs » – pour les revendre en France et en Belgique. « Ca marchait bien », se souvient-il. En même temps, il découvre le monde de la restauration. « J’ai commencé en faisant la vaisselle dans un restaurant français, La Chaumière. A l’époque, il n’y en avait que deux ou trois à New York. »
Il apprend la cuisine « sur le tas » puis ouvre son propre restaurant, le Petit-Près, dans le West Village. « Ouvrir un resto, cela coutait rien à l’époque. Il n’y avait même pas de permis de construire ! Ca marchait bien, les gens faisaient la queue. » En 1978, il en ouvre un autre, la Gamelle, à SoHo, qui « a tourné pendant dix ans », puis L’Express, sur la 8e avenue. « Ensuite, j’ai vendu, je suis parti voyager, et quand je suis revenu, j’ai ouvert La Jumelle et Felix. Mais au bout d’un moment, j’en ai eu marre de gérer des restaurants. Maintenant, je me contente de les dessiner et les meubler. »
En ce moment, il travaille sur le chantier de La Gamelle, un bistrot français monté par Mathieu Palombino, originaire, comme lui, du Nord. Il est particulièrement fier d’un grand comptoir de bar en acier, récupéré en Belgique, ou encore du carrelage retro beige, type mosaïque. « J’adore ce chantier, et c’est une belle adresse. Mon but c’est que les gens, quand ils arriveront, disent waouh. Je crois que cela va être mon plus beau restaurant. »