Mieux vaut tard que jamais. Le Comité International Olympique (CIO) vient de reconnaître sur son site que le marathonien Albert Corey, vainqueur d’une médaille d’argent aux Jeux de 1904, était bel-et-bien français – et non américain.
C’est en partie le résultat du travail de lobbying de Clément Genty, conseiller municipal à Meursault (Côte d’Or), ville natale d’Albert Corey, et auteur d’un nouveau livre sur cet ancien militaire qui a traversé l’Atlantique au début du XXème siècle comme déserteur. “J’aime bien les gens qui osent. Corey a un destin intéressant car il a osé toute sa vie. Il est parti vivre en Chine, Syrie, Allemagne et aux États-Unis. C’était rare pour quelqu’un issu d’un milieu pauvre et prolétaire“, explique l’élu, chercheur associé à l’école Arts et Métiers ParisTech (ex-École nationale supérieure d’arts et métiers).
Enfant de vigneron, Albert Corey n’était pas un sportif du dimanche. En 1901 et 1902, ce soldat de 1m69 s’était hissé dans le top 10 du marathon de Paris, couru “en uniforme militaire en plus de ça !“, précise Clément Genty. Mais, autour de Noël 1902, il déserte pour se rendre aux États-Unis avec un ami soldat. “On ne sait pas pourquoi il est parti. Sur la base d’échanges avec les historiens, on peut penser qu’il s’imaginait avoir atteint un plafond dans l’armée. En tant que sergent fourrier, grade de référence pour devenir officier, il serait monté dans la hiérarchie quelques années plus tard“.
Sur le sol américain, il devient d’abord cuisinier dans un hôtel de Dayton (Ohio), avant de rejoindre les immenses abattoirs de Chicago comme briseur de grève, un travailleur chargé de remplacer les grévistes. À l’époque, la ville du Midwest assurait 84% de la production de viande aux États-Unis.
Dans le même temps, la ville de Saint-Louis parvient à ravir à Chicago l’organisation des Jeux Olympiques de 1904, les troisièmes des temps modernes, en mettant en avant la tenue d’une exposition universelle célébrant l’acquisition de la Louisiane par les États-Unis auprès de la France. Énervés, les “notables” chicagoans décident de dépêcher sur place plusieurs clubs locaux. Albert Corey découvre une annonce de recrutement dans le journal et décide de passer le test. Avec succès: via un interprète (car l’anglais de Corey était balbutiant), le coach de la Chicago Athletic Association (CAA) lui signifie qu’il est recruté pour le marathon, 40 kilomètres de distance à l’époque contre les 42 d’aujourd’hui.
Le 30 août, Corey termine à la troisième place (sur 32 coureurs), mais grimpe d’une marche quand le premier est disqualifié après avoir parcouru cinq kilomètres en voiture. Le coureur du Massachusetts Thomas Hicks le devance, bien que dopé à la strychnine (mort-au-rat) et au brandy et aidé physiquement par des officiels. Des irrégularités peu surprenantes pour ces Jeux encore très amateurs. “Un coureur a eu la diarrhée car il avait mangé une pomme pourrie. Un autre a été poursuivi par des chiens…“, poursuit Clément Genty. Pour couronner le tout, les marathoniens n’avaient accès qu’à un seul point de ravitaillement en eau car les organisateurs voulaient profiter de la compétition pour faire une expérience scientifique sur la déshydratation. Qu’importe s’il faisait plus de trente degrés Celsius ce jour-là…
Seul médaillé français de ces jeux, Albert Corey était inscrit dans les fichiers olympiques comme américain, et avec une faute à son nom orthographié “Coray”. “Cette nationalité attribuée n’était pas une erreur, précise Clément Genty. À l’époque, les Jeux étaient une compétition de clubs sportifs. Il faut attendre 1908 pour qu’ils deviennent une compétition de pays. En 1904, c’était la nationalité du club qui primait. Albert Corey était donc considéré comme américain“. Malgré ses prouesses, et une famille fondée aux États-Unis, il rentre en France à l’aube de la première guerre mondiale et intègre un bataillon de chasseurs à pied. Il meurt en 1926, non sans avoir reçu une autre distinction, pas olympique celle-ci: la Croix de guerre.
Clément Genty, chargé des affaires militaires de Meursault, est remonté jusqu’aux instances olympiques nationales et internationales pour faire reconnaître la nationalité française d’Albert Corey. Il a recruté l’ex-champion Guy Drut, membre du CIO, dans son combat. Les Jeux de 1904 étaient les seuls où la France n’était pas montée sur le podium. Et pour cause, peu de clubs étrangers avaient fait le déplacement à Saint-Louis en raison de la distance. “C’est triste de ne pas valoriser des parcours comme celui d’Albert Corey alors qu’on met l’accent sur beaucoup de choses négatives en ce moment avec la Covid”, explique-t-il. Le conseiller municipal voudrait lui rendre hommage à travers un film ou un timbre, comme les Italiens l’ont fait pour le marathonien Dorando Pietri, auteur d’une performance héroïque aux JO de 1908 malgré sa disqualification. Il cherche désormais des bonnes volontés pour l’aider à faire reconnaitre ce Français au destin singulier. “Une telle histoire, c’est valorisant pour une commune. Ce n’est pas comme s’il était un tueur en série !“.