Les poulains de Joël Robuchon se portent bien aux Etats-Unis. Après Claude Le Tohic, qui a ouvert le 16 mai un immeuble entier dédié à la cuisine française à San Francisco, voici qu’Alain Verzeroli, qui a travaillé 21 ans pour le chef multi-étoilé, lance deux restaurants à New York: Le Jardinier et Shun.
Ils sont situés respectivement au rez-de-chaussée et au premier étage du 100 East 53rd Street, le « condo » de luxe du magnat de l’immobilier Aby Rosen au coin de Lexington Avenue et de la 53e rue où George et Amal Clooney ont acheté un appartement. « On garde en nous son héritage d’une valeur sans limite mais, quelque part, je me permets de prendre de grandes libertés, confie le chef en parlant de « Monsieur Robuchon », disparu des suites d’un cancer l’an dernier. « J’ai coupé le cordon mais pas dans le mauvais sens. Je garde en moi ce que j’ai appris avec Joël Robuchon mais cela me permet de définir une nouvelle direction. »
Alain Verzeroli l’admet volontiers : « je ne me destinais pas à la cuisine ». Après son bac B (économique et social), il se lance dans des études d’économie à Paris-Dauphine sans vraiment savoir ce qu’il veut faire. Un beau jour, il se rend dans l’un des restaurants d’Alain Rayé à Paris avec des amis pour son premier dîner gastronomique. Une « révélation ». « J’ai ressenti un immense plaisir mais je n’avais pas les clefs pour comprendre ce que je mangeais ». Malgré sa « timidité », il va voir le chef pour lui demander de faire un stage d’un mois dans sa cuisine. « C’était dur, mais j’étais intrigué par ce nouveau monde. »
Puis, les étapes s’enchainent. Après avoir annoncé à ses parents qu’il arrêtait l’économie, il troque les bancs de la fac pour la prestigieuse école de cuisine Ferrandi. Il se forme chez les plus grands: le « très généreux, très entier » Guy Savoy et sa cuisine « gouteuse » et Claude Deligne, chef légendaire du restaurant Taillevent. Il rejoint ensuite Alain Passard, un autre de ses mentors, comme sous-chef exécutif de L’Arpège (trois étoiles). L’aventure dure deux ans.
Après L’Arpège, Joël Robuchon l’approche pour travailler au Jamin, son célèbre restaurant parisien avec lequel il obtient trois étoiles en trois ans. « Je lui ai dit que j’étais flatté mais que je ne savais pas si j’étais à la hauteur. Il m’a dit: Alain, si c’était facile, je ne te l’aurais jamais demandé ». En 1996, un poste de chef l’emmène au Petrus, restaurant de l’hôtel de luxe Island Shangri-La à Hong Kong, pour trois ans. Il retrouve l’empire Robuchon à Tokyo, quand il prend les rênes de la cuisine du Restaurant Joël Robuchon, situé dans une impressionnante bâtisse similaire au Château de Moulinsart. Il y décroche trois étoiles pendant onze années consécutives, tout en supervisant les autres établissements du chef dans la capitale nippone. Ensemble, ils cumulent sept macarons Michelin.
Joël Robuchon lui a proposé à deux reprises de venir s’installer à New York, où il comptait rouvrir son fameux Atelier et lancer un autre projet à Midtown sous la houlette du groupe Invest Hospitality. Après que son épouse ait décroché un poste à New York, il décide de sauter le pas. « Ce n’était pas facile pour moi de venir ici car j’adore le Japon où j’ai passé 18 ans. Mais les équipes étaient en place, la réputation était faite. C’était le temps de relever un nouveau défi », raconte-t-il.
Alors que Christophe Bellanca s’occupe des cuisines de L’Atelier à Chelsea, Alain Verzeroli est dédié aux deux restaurants du 100 East 53rd Street, dont il a redéfini les concepts après le décès du chef en août 2018. Dans un décor très végétal et décontracté, Le Jardinier, 62 places, sert depuis le 21 mai une carte axée sur les légumes (sans être un restaurant végétarien). « Cela a du sens aujourd’hui, dit-il. Il y a une vraie volonté de recréer un lien avec le rythme de la nature. Et on sait qu’il n’est pas bon pour la santé de manger des protéines animales dans des proportions importantes. »
À l’étage, Shun, un espace de 58 places, proposera dès juin une cuisine française influencée du Japon pour une expérience plus formelle. Le restaurant possède un bar lumineux et minimaliste doté de plafonds hauts qui donne sur Lexington Avenue et conçu, comme le reste, par l’architecte d’intérieur Joseph Dirand. Passer de trois étoiles à zéro, est-ce facile à vivre ? « Si les étoiles arrivent, je les prendrai avec plaisir, mais je n’ai pas créé ces restaurants pour les étoiles, explique-t-il. Je voulais revenir à des choses simples, décomplexées ».
Le Jardinier
610 Lexington Avenue, New York
212 451 9211
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