“On me pose souvent la question et je ne sais pas trop” . Quand on demande à Alain Sinturel comment son entreprise les Trois Petits Cochons est parvenue à atteindre 40 ans, il sèche.
Pourtant, beaucoup aimeraient savoir. La société qu’il a co-fondée avec le Français Jean-Pierre Pradié et l’Américain Harvey Millstein est un rare exemple de longévité dans un secteur difficile, très réglementé. A 40 ans, la petite entreprise qui fabrique et distribue du pâté et d’autres produits de charcuterie se porte bien. Etablie à Sunset Park (Booklyn), elle emploie une cinquantaine de personnes (parfois depuis des décennies) et est présente aux quatre coins des Etats-Unis. Elle s’apprête à dévoiler de nouveaux pâtés, organiques, au Fancy Food Show fin juin.
“On a fait partie des premières entreprises à proposer une couverture médicale, dentaire et des vacances. On voulait retenir les employés. C’est notre côté français! ” , se félicite le patron.
L’histoire des Trois Petits Cochons trouve racine dans des endroits très différents: Londres, New York et… un cargo voguant sur l’Océan indien.
Sur un cargo pour Madagascar
Londres, c’est là où se rencontrent Alain Sinturel et Jean-Pierre Pradié. Tous deux travaillent dans le même restaurant. “Un jour, on a voulu traverser l’Afrique, du nord au sud” , glisse Alain Sinturel, un ancien de l’école hôtelière de Lausanne passé par l’Intercontinental à Paris. “On a acheté une voiture à côté de Londres et on l’a revendue à Madagascar… 30.000 bornes! C’était génial! ”
Quelque part entre le continent et l’île, à bord d’un cargo où ils ont dormi à la belle étoile, ils font la connaissance d’un Américain, Harvey Millstein, qui sera important pour le reste de l’histoire.
La bonne idée mais pas d’argent
En 1975, les trois hommes se retrouvent “par hasard” dans les rues de New York – Alain Sinturel s’y était installé après avoir travaillé comme chef dans un restaurant grec de Milwaukee. Ensemble, ils décident de lancer un établissement: les Trois Petits Cochons (référence aux trois fondateurs) voit le jour sur la 13eme rue, à l’emplacement actuel de la Maison du Croque-Monsieur près d’Union Square.
“On a décidé de faire de la cuisine française à emporter. Ca n’existait pas à l’époque” , se souvient-il. Au menu: des pâtés bien sûr (pâté de campagne, pâté de foie, terrine normande), mais aussi des quiches, des salades et des desserts (la mousse au chocolat était à $0.85).
“On bossait comme des malades”
Ouvrir un business dans le New York des années 70 était “complètement rock’n’roll” , s’amuse Alain Sinturel. Lui qui vivait dans un appartement à “120 dollars le mois” à SoHo affirme avoir lancé les Trois Petits Cochons avec un investissement de “moins de 20.000 dollars” . “On a acheté tout le matos d’occasion, cabossé. L’argent était en grande partie emprunté. On n’avait pas un rond” .
Leur concept de charcutier-traiteur français, unique à New York, attire. Le New York Magazine, et sa légendaire critique Mimi Sheraton, leur consacre une page. “Ça a été incroyable. On a été obligé de faire tourner la cuisine 24h sur 24. Jean-Pierre et moi bossions comme des malades.”
“Ils nous ont ligotés”
Mais la presse n’attire pas que de bons clients. Un matin, les deux Français font l’objet d’un braquage – “comme tout le monde à l’époque” – qui fait sourire Alain Sinturel aujourd’hui:
Très vite, la marque se retrouve sur la côte Ouest. Ses produits (à l’exception des cornichons, des mini-toasts et de certains alcools importés de France) sont fabriqués aux Etats-Unis, dans son usine en Pennsylvanie. Elle commercialise des mousses, pâtés, terrines, saucissons et d’autres pièces de charcuterie.
Alain Sinturel, seul co-fondateur toujours en activité depuis le décès de Jean-Pierre Pradié et le départ de Harvey Millstein, reste muet sur son chiffre d’affaires, mais assure que ses ventes sont en croissance, portées par le nouvel engouement des Américains pour la cuisine. “Le nombre de restaurants a augmenté. Les Américains veulent faire la cuisine de plus en plus. Ils dépensent de l’argent dans du matériel de cuisine professionnel” .
“C’est vrai qu’on fait attention à la qualité. Nous goûtons tout, poursuit-il. Nous ne vendons pas quelque chose s’il n’est satisfaisant qu’à 95%” . Voilà peut-être pourquoi les Trois Petits Cochons vivra encore longtemps.