Aucun diplomate des Nations Unies n’avait été dans cette position auparavant: le 4 avril dernier, Alain Leroy a donné l’ordre aux deux hélicoptères ukrainiens volant sous les couleurs de l’ONU de faire feu sur les armes lourdes que détenait encore le camp Gabgbo. “C’est une décision très lourde, admet Alain Leroy. Mais une décision qui a changé le cours des choses”. En trois ans, le patron des Casques Bleus (“Secrétaire Général Adjoint chargé des Opérations de Maintien de la Paix” est son titre officiel) a géré un nombre incalculable de crises: de la guerre au Congo au conflit soudanais, en passant par le tremblement de terre en Haïti, le Darfour… “Son mandat a été une longue traversée d’une champs de mine qu’il a réussi à manoeuvrer sans dommages majeurs” dit un bon observateur du système onusien.
“Pragmatique”, “ouvert”, “attentif” dit-on de lui au sein des Nations Unies. “Mon obsession était de ne pas répéter les erreurs des années 1990, au Rwanda ou Bosnie” confie-t-il, quelques heures après avoir annoncé son départ à ses collaborateurs. Du coup, le bilan qu’il dresse sonne comme une longue liste de catastrophes évitées: “l’an dernier, tout le monde prédisait que le référendum n’aurait jamais lieu au Soudan, nous l’avons fait; en Haïti, on a évité la crise politique qui se profilait; en Côte d’Ivoire, je suis convaincu qu’on a échappé à un génocide”.
Alain Leroy est plus discret sur les troupes mises à disposition de l’ONU par les pays dits “contributeurs”. “C’est sans doute la principale limite de son mandat, et il n’y peut rien: les soldats qui assurent le maintien de la paix sont rarement les meilleurs” dit un diplomate occidental. “Nous essayons de convaincre les pays développés de participer plus, de nous donner du matériel notamment, mais c’est difficile, concède Alain Leroy. Les Casques Bleus sont bien sûr un moyen pour ces pays riches de faire faire le boulot par d’autres. Mais nous sommes là pour ça: qui d’autre que nous irait au Congo pour y faire ce que nous faisons?”.
Dès l’année dernière, la rumeur onusienne donnait Alain Leroy partant. “Il a parfois eu des relations difficiles avec l’entourage proche de Ban Ki Moon”, confie un de ses collaborateurs, citant l’exemple de la Côte d’Ivoire où la mission est dirigée par un proche du secrétaire général des Nations Unies, coréen comme lui, Choi Young-Jin. Mais Ban Ki Moon a pourtant insisté pour qu’Alain Leroy reste à son poste au moins un an de plus. Et c’est pour des raisons purement familiales, insiste-t-il, qu’il a refusé. “J’ai imposé ce rythme insensé à ma famille pendant trois ans, je ne pouvais pas leur demander un an de sacrifices en plus”. Agé de 58 ans, Alain Leroy est père de quatre enfants, âgés de 8 à 15 ans. En août, toute la famille va retourner en France, où le diplomate va retrouver son poste à la Cour des Comptes.
En attendant, la bataille pour sa succession a d’ores et déjà commencé. La France va tenter de conserver ce poste très influent. Elle a soumis une liste de trois noms à Ban Ki-moon, qui va mener les interviews dans les prochaines semaines. Rien ne garantit que le poste reviendra à nouveau à un Français mais, confie un diplomate occidental “Ban Ki-moon a montré avec sa réelection à l’unanimité la semaine dernière, qu’il savait ménager les grandes puissances, et surtout les membres permanents du Conseil de sécurité”. Réponse attendue avant le mois d’août.