Le maître français de la science-fiction Alain Damasio achève trois semaines de résidence à la Villa Albertine San Francisco. L’auteur, qui a écoulé plus d’un million d’exemplaires de ses trois romans, a profité du voyage pour s’inspirer des lieux et développer ses projets. « Je suis venu prendre des infos sur la Silicon Valley et y sentir les gens, comprendre comment ils vivent, ressentir les vibrations, les sensations » explique l’écrivain.
Réputé pour ses récits imaginaires, entre anticipations politiques et intrigues futuristes, Alain Damasio s’est imposé comme un chef de file du mouvement technocritique. « La Silicon Valley concentre tout ce que je combats : surveillance, traçage, capitalisme, transhumanisme… Et en même temps San Francisco est une ville d’avant-garde où la contestation existe. Les échanges culturels offerts par la Villa Albertine m’ont permis de nourrir ma réflexion et de découvrir l’envers décors » raconte t-il.
Alain Damasio a bénéficié du réseau de la Villa Albertine pour rencontrer de nombreux acteurs de l’écosystème de la tech. Parmi eux, des Français spécialistes de la réalité virtuelle, du Métaverse ou de l’intelligence artificielle. « Côtoyer ces créateurs brillants, impliqués au plus haut niveau et développant des systèmes puissants pour Facebook, Google ou Twitter, ça m’a fasciné. On a vraiment l’impression d’être au centre du monde, là où la révolution digitale se fabrique » affirme le romancier.
Mais derrière sa fascination, ce poète de la science-fiction comme il aime se présenter, pointe du doigt un « choc culturel massif ». Il décrit ainsi « un sentiment de séparation, notamment lié aux grandes distances, le faible nombre de personnes dans la rue, le manque de lieux publics, d’urbanisme, de séduction, de vie de manière générale ». Il dénonce aussi « la lutte des classes au pied des bureaux » et les inégalités entre ceux qui vivent dehors et ceux qui cumulent les richesses. Et de conclure : « ma plus grande découverte, c’est peut-être d’avoir compris qu’ici, la libération individuelle prime sur l’égalité. Il existe une hiérarchie implicite liée à la religion et dans laquelle le mâle blanc domine ».
Selon l’écrivain qui aime allier « l’aspect intuitif des mots » et les réflexions à tendance philosophique, « la distance sociale est ici conjurée par le numérique ». D’après lui, la vie publique est en effet suffisamment pauvre pour que le Métaverse offre une alternative. « Le Métaverse permet de subvertir les cadres humains. On peut être à plusieurs endroits à la fois, vivre plusieurs vies, faire du bowling sans le poids des boules ou du sport sans l’odeur de transpiration des autres… » détaille-il avant d’ajouter : « on va vers la dématérialisation ».
Il souligne par la même occasion combien « la Silicon Valley ne sait pas quoi faire du corps ». Une question qui l’intéresse particulièrement et qui sera au cœur des travaux inspirés par sa résidence. « Je m’interroge sur comment donner le goût des rencontres, des autres, de la nature. Sans que ce soit un simple décors…»
Alain Damasio – © Cyrille Choupas (Comme la photo de Une)
De sa résidence, Alain Damasio a déjà écrit plusieurs textes. Sur la place de la voiture dans la Silicon Valley ou sur le quartier du Tenderloin à SF par exemple. Une série radiophonique réalisée durant son séjour reviendra en outre sur son expérience. Autant de créations prochainement disponibles sur le site de la Villa Albertine San Francisco.
L’écrivain a par ailleurs rencontré des éditeurs américains. Car malgré son succès en Europe, ses livres ne sont pas publiés ici : « Aux US, je ne suis rien, c’est une cure de modestie profonde ! Et un challenge d’être traduit… ». Il a continué en parallèle à travailler sur l’adaptation audiovisuelle de son roman La Horde du Contrevent et sur une série télévisée autour de migrants temporels.
L’artiste, qui s’est illustré ces dernières années sur scène lors de performances musicales ou dans la création d’univers de jeux vidéos, collabore également à un jeu de cartes NFT (Cross the Ages), une activité dans laquelle il avoue « s’éclater ». Sa résidence à San Francisco a donc créée des traits d’union entre toutes ces activités et lui aura permis d’étoffer son univers. Un voyage en terre américaine qui lui inspirera sûrement les maux de son prochain roman.