“Quand on commence à écrire une comédie musicale, on pense à tout sauf qu’on va se retrouver avec un hommage au Carnegie Hall” . Alain Boublil a toujours du mal à le croire, et pourtant, c’est bien vrai.
Le lundi 2 mai, le célèbre orchestre New York Pops et plusieurs stars de “musicals” rendront hommage au librettiste des “Misérables” et à son double, le compositeur Claude-Michel Schönberg, en jouant plusieurs de leurs illustres partitions en leur présence. Outre “Les Miz”, le célèbre tandem français a signé plusieurs grandes comédies musicales des années 80 et 90 comme “Martin Guerre” et “Miss Saigon” quand “cette forme musicale n’existait pas en France” , rappelle Alain Boublil. “Il y aura des surprises au Carnegie Hall, promet-il. Cet hommage arrive au bon moment. Ça nous permet de nous retourner sur ce que nous avons fait. C’est la consécration d’une aventure merveilleuse. ”
Une aventure qui a commencé à New York justement il y a plus de quarante ans. C’est ici qu’Alain Boublil découvre les comédies musicales – un “éblouissement” – en 1972. Sa révélation, il la doit à “Jesus Christ Superstar” . En sortant du show un soir, le chasseur de talents artistiques se balade dans les rues de la ville à la recherche d’une idée à lui. Ce mordu d’histoire décide alors de monter un opéra rock sur la révolution française. “J’avais 27 ans, le même âge que ces révolutionnaires” se souvient-il. Un ami lui recommande un certain Claude-Michel Schönberg, qu’Alain Boublil connaissait pour avoir travaillé avec lui sur l’achat des droits de l’une de ses chansons “Tous les jours à quatre heures” qui passait en boucle à la radio. Avec deux autres compères (Raymond Jeannot et Jean-Max Rivière), il s’enferment dans un studio pour produire 24 chansons. L’opéra-rock “La Révolution française” voit le jour en 1973 au Palais des Sports de Paris, avec Claude-Michel Schönberg dans le rôle de Louis XVI, Alain Bashung dans celui de Robespierre et Antoine dans la peau de Napoléon.
Le succès de “La Révolution française” leur donne l’ambition de faire un projet plus ambitieux: “Les Misérables”. Leur adaptation du roman de Victor Hugo est jouée pour la première fois en 1980 au Palais des Sports sous la houlette de Robert Hossein. Jusqu’à 500.000 personnes se pressent pour voir ce spectacle fait “à une époque où cette forme de musique n’existait pas en France” . Après plusieurs années de travail sur la traduction anglaise avec le producteur bien connu sur Broadway Cameron Mackintosh (auquel on doit notamment Cats), il ouvre en 1985 au Barbican à Londres joué par la Royal Shakespeare Company. Les 1.000 personnes dans le public lui donnent une standing ovation de dix minutes. La machine est en marche: le fameux West End londonien lui tend les bras, puis Broadway à New York, où la première représentation a lieu en mars 1987 au Broadway Theatre.
Les points communs entre les deux hommes – ils avaient tous deux des diplômes d’économie “en partie pour faire plaisir à nos parents” mais voulaient vivre de la musique – et leurs succès consolident leur relation personnelle et professionnelle. “Depuis notre rencontre, les mots n’ont pas changé de sens. Ca marche aussi bien dans un couple professionnel que personnel. Quand les mots n’ont pas le même sens pour les deux, il vaut mieux arrêter. Entre nous, il y a une confiance réciproque et totale dans l’opinion de l’autre. Je ne suis pas librettiste dans mon coin et lui compositeur dans son coin. Il y a une interaction totale sur tout ce qu’on fait. Si je ne suis pas d’accord, il respecte mon opinion.”
“Les Misérables” devient le carton que l’on connait. Plusieurs dizaines de millions d’entrées, des chansons que tout le monde fredonne (“I dreamed a dream”, “Do you hear the people sing”), un film… Ensemble, Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil collaboreront sur d’autres productions (“Miss Saigon” en 1989, “Martin Guerre” en 1996, “The Pirate Queen” en 2006 et “Marguerite” en 2008…), mais “Les Misérables” restent indéniablement de tous leurs bébés le plus chéri du public: le show détient le record de longévité au West End et se hisse à la deuxième place au niveau mondial. En ce moment, Alain Boublil travaille sur une nouvelle réécriture de “Martin Guerre”, basé sur l’histoire d’un paysan du XVIe siècle victime d’une usurpation d’identité. “Je suis fasciné par les personnages historiques car on se rend compte que le costume ne change pas grand chose à la personnalité. Leur façon d’imaginer le monde n’est pas si différente de la nôtre.”