Ils ont plus de 50 ans d’écart. Elle a les cheveux blancs et violets. Il porte un chapeau et des lunettes noires.
Agnès Varda et JR, c’est d’abord un couple improbable, mais très vite on surprend les clins d’oeil et les sourires complices. La réalisatrice et le photographe sont aux Etats-Unis pour présenter leur documentaire “Faces, Places”, qui a fait sensation au dernier festival de Cannes. Une balade en camionnette à travers la France, d’un village des Alpes avec son usine chimique à un coron du Nord, en passant par la plage de Sainte-Marguerite-sur-Mer en Normandie. A chaque fois, JR photographie des personnages, des anonymes croisés sur leur route, et il placarde leur portrait en impression XXL sur la façade d’une maison, sur des camions, sur des wagons de marchandise. Agnès Varda interroge et commente.
“Notre film parle d’ouvriers, de fermiers, d’un facteur, d’un carillonneur. De villages voués à la démolition ou de métiers qui vont disparaître. Nous avons joué le rôle de témoin, explique Agnès Varda. Ce n’est pas de la curiosité mais de l’empathie“. La cinéaste se remémore avec émotion chacune des personnes croisées sur leur route et évoque à plusieurs reprises Janine, habitante d’un coron de Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais, menacée d’expulsion. “Grâce au film, elle a pu trouver un endroit où se loger. On aura au moins servi à ça!” se félicite Agnès Varda, l’oeil brillant. Sur le ton de la confidence, JR ajoute que la réalisatrice continue d’écrire et d’envoyer des chocolats à “sa” Janine. “On a présenté le documentaire à toutes les personnes qu’on a rencontrées, dans leurs villages, raconte JR. Certains étaient étonnés d’apparaître autant, d’autres un peu gênés aussi, mais il y avait une satisfaction et de la fierté. C’était très émouvant“.
Agnès Varda, petite bonne femme de 89 ans partage avec JR, artiste de rue de 34 ans, la même passion pour l’image et la même passion pour les autres. “Faire des films c’est aimer les gens, aimer l’humanité. J’aimerais que beaucoup de monde aille voir “Faces Places” pour que les producteurs soient contents (sourire), mais ce qui m’intéresse surtout c’est que Janine, le postier, le docker, ne soient pas oubliés. Je veux que ces personnes restent et vivent à travers ce film“, déclare Agnès Varda.
Le documentaire est d’ailleurs rythmé par les archives d’anciens films de la réalisatrice, des interviews, des rencontres, notamment avec son grand ami Jean-Luc Godard, qui comme JR, “n’enlevait jamais ses lunettes noires“, rigole Agnès Varda.
Dans le documentaire, tourné en pleine campagne présidentielle en France, il n’est jamais question de politique. Un choix assumé par le couple Varda-JR: “On voulait parler de la vie! Le monde va tellement mal partout”, explique la réalisatrice en évoquant notamment le sort des Rohingyas en Birmanie qui l’émeut beaucoup. “Face à ce constat, le cinéma doit rassembler. On ne va pas changer le monde, mais je crois que si on se rencontre, les choses peuvent bouger“. Présenter ce film “vrai, sans suspense, sans effets spéciaux“, aux Etats-Unis, est aussi important pour les deux amis, qui entretiennent chacun un lien très fort avec le pays. Agnès Varda est très respectée dans le milieu du cinéma américain. Elle recevra d’ailleurs le 2 novembre, un Oscar d’honneur lors des Governors Awards. JR, lui, retrouve New York dès qu’il le peut pour travailler.
Agnès Varda salue d’ailleurs l’installation de JR à la frontière avec le Mexique. Le portrait géant de Kikito, un petit garçon de 2 ans qui regarde, curieux, de l’autre côté de la clôture métallique. “Ce qu’il a fait au Mexique est plus fort que la politique“, selon la réalisatrice, fan absolue de l’audace de son jeune complice.