En mai, les Français de l’étranger sont appelés à élire des conseillers des Français de l’étranger au sein de chaque circonscription consulaire. Mais à quoi servent-ils au juste ?
Créés par une réforme de 2013 sur la représentation des Français de l’étranger, ils ont deux fonctions principales: servir d’élus de proximité pour la communauté française de la circonscription consulaire et agir comme grands électeurs pour les douze sénateurs des Français de l’étranger (six de ces sièges seront en jeu lors des sénatoriales de septembre). Avec la réforme de 2013, le gouvernement voulait notamment élargir le collège électoral de ces sénateurs afin d’éviter les risques de clientélisme. Les premières élections consulaires ont eu lieu en 2014. À l’époque, ces élus, 442 dans le monde, choisis par scrutin de liste, portaient le nom de “conseillers consulaires“, mais celui-ci a été abandonné au profit de “conseillers des Français de l’étranger” pour marquer leur indépendance par rapport aux consulats.
Gérard Epelbaum, conseiller sortant qui brigue un nouveau mandat en 2021 dans la circonscription de New York (États de New York, du New Jersey, Connecticut et les Bermudes), a pris l’habitude de comparer son rôle à celui d’un conseiller municipal en France. « Ça serait bien d’avoir nous aussi une écharpe tricolore pour rappeler le fait que nous sommes des élus de la République, dit-il. Comme ce n’est pas une fonction que les Français de l’étranger connaissent, la comparaison avec les conseillers municipaux est une bonne manière de faire un rapprochement. Comme les conseillers municipaux, nous sommes des élus de proximité. Eux se réunissent à la mairie, nous au consulat. Comme eux, nous sommes les grands électeurs de sénateurs, mais il est vrai que nous n’avons pas tout à fait les mêmes compétences », reconnait-il tout de même.
En effet, alors que les conseillers municipaux adoptent le budget de la municipalité et votent sur divers aspects de la gestion de la commune (services publics, patrimoine, travaux publics…), les conseillers des Français de l’étranger ne déterminent pas les finances du consulat et encore mois la politique du Quai d’Orsay. Ils participent cependant à plusieurs “conseils consulaires” (sur l’attribution des bourses, sécurité, de financements pour les associations..), mais leur rôle est avant tout consultatif. Un rapport de 2018 de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), organe consultatif qui se réunit à Paris, les décrits comme des « élus de simple témoignage (car) la loi (les) a maintenu(s) dans un rôle purement consultatif ». « À la différence des élus à l’AFE, les conseillers des Français de l’étranger n’ont même pas d’e-mail », regrette Richard Ortoli, conseiller consulaire sortant qui se représente à New York.
Il n’empêche que les conseillers, avec leurs longs mandats (six ans renouvelables), remplissent des missions d’information et de relais non-négligeables au moment où les moyens des consulats se réduisent. Selon Richard Ortoli, ils servent de “mémoire de la communauté française” auprès des autorités consulaires. “Quand un nouveau consul arrive, il ne connaît parfois rien à la circonscription. Peut-être n’a-t-il jamais été aux États-Unis auparavant. Le personnel consulaire aussi change. Les conseillers ont la connaissance du terrain. Mais pour le reste, c’est l’auberge espagnole. On nous donne un titre, une fonction, c’est à nous de l’inventer avec le peu de moyens qu’on nous donne”, raconte-t-il.
Selon lui, le principal atout de la fonction est l’accès que donne le titre d’élu local au sein d’une administration parfois opaque ou injoignable. « Le titre donne un poids, poursuit-il. Cela me permet d’avoir de l’influence dans les ministères, aux services culturels et auprès d’élus locaux américains pour démêler des situations compliquées », dit-il. « Quand les gens ont besoin d’aide, ils viennent nous voir car nous sommes des élus. Ils savent que nous aurons une oreille attentive », ajoute Gérard Epelbaum. Pendant son mandat, ce dernier a été interpellé pèle-mêle sur des problèmes d’obtention de la carte vitale, d’accès à la retraite, de fiscalité… « On essaie de trouver des solutions de secours à des situations parfois dramatiques en intervenant à tous les niveaux: administratifs, consulaires et politiques… Nous touchons toutes les problématiques ».
Selon Annie Michel, élue sortante à la tête d’une liste de gauche à New York, ce rôle de dépanneur tout terrain est particulièrement important en temps de crise, que ce soit lors d’une catastrophe naturelle ou une pandémie. Pendant la crise sanitaire, elle et les quatre autres conseillers de la circonscription ont reçu une avalanche de messages de la part de Français inquiets. Son travail a alors consisté à leur trouver des réponses ou à les mettre en relation avec les bons interlocuteurs. « J’ai déjà reçu 1 400 e-mails cette année, raconte-t-elle. Pendant la pandémie, nous recevions beaucoup d’appels de la part de gens qui n’arrivaient pas à joindre le consulat, des personnes coincées ou qui ne parvenaient pas à trouver de médecin pour un test PCR, des étudiants qui n’avaient plus d’argent…, dit-elle. Nous travaillons en sous-marin pour résoudre des dossiers très différents. Ce sont autant de puzzles à solutionner ».
Pour elle, un conseiller des Français de l’étranger est efficace quand il a un carnet d’adresses bien fourni au sein de la galaxie administrative, utile pour débloquer un dossier de retraite perdu dans les méandres du système ou faire avancer une demande urgente de carte vitale. Ces élus de terrain font aussi remonter les éventuels problèmes d’application d’un texte voté à Paris. Parmi eux, certains sont en outre élus (par leurs pairs) pour siéger au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Ils ont ainsi la possibilité d’interpeller publiquement le Secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger et d’autres représentants du gouvernement lors des réunions de cette assemblée à Paris.
Pouvoir politique
L’accès au pouvoir, c’est l’un des arguments mis en avant par Pascale Richard. Tête-de-liste de la République en Marche dans la circonscription de New York, elle est aussi la suppléante de Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord, et entretient une “relation privilégiée avec la majorité présidentielle“. C’est la première fois que le parti, qui n’existait pas en 2014, présente des candidats aux élections consulaires. En ligne de mire: les sénatoriales de septembre. En plus des six sièges de députés des Français de l’étranger qu’elle occupe aujourd’hui, LREM espère accroitre sa présence au sénat, où le parti d’Emmanuel Macron ne dispose que d’un élu parmi les douze représentants des Français hors de France à la chambre haute: le sénateur Richard Yung. “Le sénat est pour nous un enjeu très fort pour continuer à avoir une force politique capable de faire des propositions dans le jeu démocratique“, a souligné, fin mars, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal lors du lancement de la campagne sur Zoom en présence des têtes-de-listes du parti aux États-Unis.
Pascale Richard ne trouve “pas honnête” que certaines listes, qui se présentent comme indépendantes, n’affichent pas leur couleur politique en vue de ces sénatoriales, un “enjeu énorme pour la France“. Les deux candidats visés, Richard Ortoli et Gérard Epelbaum, qui ont organisé des conférences virtuelles avec des sénateurs Les Républicains (LR) des Français de l’étranger, défendent leur positionnement. Le premier indique que ses “affinités politiques” le pousseraient “à voter pour un sénateur de droite“, mais qu’il n’excluait pas non plus de voter pour un candidat LREM si ses idées correspondaient aux siennes. “Je ne suis pas inféodé !“, lance-t-il. Pour sa part, Gérard Epelbaum précise que les “problématiques des Français de la circonscription vont au-delà des clivages politiques. Nous avons tous les mêmes préoccupations, mais il est de notre responsabilité d’élus d’être efficaces. Et si on veut être efficace auprès des politiques, on veut disposer de relais aussi larges que possible et aller au-delà des étiquettes“.
Au-delà des enjeux politiques, Pascale Richard espère “valoriser” cette fonction méconnue. Elle met en avant la loi “Engagement et proximité” de décembre 2019 qui prévoit, entre autres nouvelles prérogatives, que les conseils consulaires soient désormais présidés par l’un des élus, et non plus par l’ambassadeur ou le consul. Une mesure purement symbolique qui rappelle toutefois l’indépendance de ces élus par rapport au consulat. Le programme en “sept ambitions” de sa liste comprend des mesures comme la reconnaissance mutuelle du permis de conduire entre la France et les États de la circonscription, l’instauration d’un indicateur annuel sur l’égalité hommes-femmes dans les entreprises françaises locales ou encore le suivi du projet de création d’une “forêt des Français d’Amérique du Nord en France afin de créer des puits de carbone pour compenser” les voyages transatlantiques. “En plus du rôle très important d’assistance aux personnes dans le besoin, confrontées à des problèmes de retraite notamment, il faut aussi s’adresser aux autres Français, comme les entrepreneurs, les parents, les jeunes…“, souligne Pascale Richard.
Le parti macroniste n’est pas le seul petit nouveau de ces élections consulaires: la France Insoumise dispose également d’une liste à New York. Pour sa cheffe-de-file, Christine Tuaillon, ce ne sont pas les sénatoriales qui motivent sa liste. “La France Insoumise est un parti important en France. Il nous paraissait dommage de ne pas avoir de présence dans cette élection consulaire“, justifie-t-elle. Elle veut utiliser la fonction pour toucher des populations “qui ne se sont pas proches du consulat“. “Pour certains Français qui habitent ici depuis longtemps, le consulat parait très éloigné. Beaucoup n’y vont que pour renouveler leur passeport. Il faut davantage de liens administratifs, faire connaitre les aides, comme les bourses scolaires ou les subventions STAFE pour les associations“, explique cette Française qui travaille dans une université située dans le comté républicain de Nassau (Long Island). Elle veut aussi que les conseillers des Français de l’étranger travaillent davantage avec des élus américains locaux ou des administrations et associations locales, comme le département des parcs new-yorkais, autour de projets citoyens.
Tous les candidats s’accordent sur un point: la peur d’une élection “entre amis”. Lors du scrutin de 2014, la participation avait atteint 16% seulement dans le monde entier. Les listes comptent sur le vote par Internet pour augmenter ces chiffres. “C’est une fonction qui est de plus en plus appréciée, assure Gérard Epelbaum. Y a-t-il un gros travail de communication à faire ? Oui. Plus la participation sera forte, plus nous aurons de poids quand il faudra contacter l’administration française ou un parlementaire pour résoudre les problèmes“.