“Depuis les années 80, les Etats-Unis pensent que le plus d’inégalités il y a, le mieux. C’est l’Ancien régime“. Thomas Piketty a profité d’un passage éclair à New York, jeudi 28 mars, pour défendre la taxation des grandes fortunes américaines.
S’exprimant devant un petit groupe de journalistes après une conférence à guichet fermé à l’université Columbia, l’économiste, auteur du volumineux Le Capital au XXIe siècle, a jugé que les propositions fiscales des candidats démocrates à la primaire étaient une “réaction saine” face au creusement des inégalités de richesse ces dernières décennies aux Etats-Unis.
Il a notamment estimé que la proposition de la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren de taxe sur “les ultra-riches” “allait dans le bon sens“. La démocrate veut prélever un impôt annuel de 2% sur les ménages ayant un patrimoine net compris entre 50 millions et 1 milliard de dollars ainsi qu’une surtaxe de 1% sur les ménages qui sont au-dessus d’un milliard de dollars. “Cela pourrait être plus élevé”, a même dit le Français à propos de cet “ISF à l’américaine, puissance 10“. “Compte-tenu du rythme de croissance du nombre de milliardaires, cela ne va pas être suffisant pour freiner la concentration de richesse“.
Thomas Piketty était à New York pour donner une conférence sur la mondialisation et le creusement des inégalités dans le cadre des “Just Societies Speaker Series” de Columbia. Devant son auditoire, il a expliqué comment les partis de gauche aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne ont progressivement délaissé les couches populaires au profit d’électeurs plus diplômés au cours du XXe siècle.
Selon lui, il n’y a pas fatalité: la gauche américaine peut reconquérir cet électorat perdu à Donald Trump à condition d’avoir “une politique de redistribution plus ambitieuse“. “C’est le bon sens”, a-t-il dit, jugeant que la politique de “coupe des impôts progressifs” entamée sous Reagan et poursuivie par Trump était “folle“. “La raison pour laquelle les Etats-Unis ont mené le monde en terme de productivité au XXe siècle n’est pas qu’ils étaient le leader des inégalités, mais parce qu’ils l’étaient sur le plan de l’éducation”.
La montée de l’aile gauche du parti démocrate, qui se décrit comme “socialiste”, “progressiste” ou “démocrate-socialiste”, depuis 2016 aux Etats-Unis et la multiplication des propositions de taxation des grandes fortunes ne le surprennent pas. “On oublie en France que ce sont les Etats-Unis qui ont inventé l’impôt progressif dans les années 20-30 et développé un niveau de taxation très élevé des revenus. Ils ne voulaient pas devenir aussi inégalitaires que l’Europe et pensaient que leur système démocratique ne le supporterait pas, a-t-il rappelé. Ça nous parait fou aujourd’hui, mais c’était l’ambiance de l’époque“.