Au départ, le foot, c’était plus une passion qu’un business pour Charles Lagayette et Jean-Damien Ladeuil. Le premier travaillait chez JP Morgan à Londres, le second dans le conseil au Boston Consulting Group à Paris. Six ans plus tard, les deux amis sont à la tête de neuf centres SoFive à travers les États-Unis, dont deux dans la région de New York. « Tout a commencé en 2015 avec l’ouverture d’un premier complexe à Carlstadt dans le New Jersey. Nous n’avions aucune expérience dans le secteur, mais on s’est rendu compte que le foot à 5 arrivait à maturité en Europe, au contraire des États-Unis où le soccer se développe à grande vitesse et les infrastructures manquent », explique Charles Lagayette.
Fondateur du Five en France, un des leaders du secteur, Jean-David Tartour a fait la même analyse avant d’ouvrir Socceroof à Brooklyn en 2018, un espace rooftop/bar qui dispose de dix terrains sur les toits de la ville. « Les nouveaux marchés du football sont l’Asie et les États-Unis. Les Américains se passionnent de plus en plus pour le soccer et le championnat local, la MLS, gagne en crédibilité ».
Un business model différent de la France
Après trois ans d’expérience à New York, Socceroof a décidé de passer à la vitesse supérieure en septembre, en annonçant l’ouverture de deux nouveaux centres à Long Island City (Queens) et Crown Heights (Brooklyn). SoFive s’est d’abord développé dans la banlieue de Philadelphie en 2017 avant d’ouvrir l’année suivante un complexe dans le quartier d’East New York à Brooklyn, puis deux dans le Maryland en 2018 et 2019.
« Le bilan de Socceroof à New York est pour l’instant très positif en terme de business, même si l’activité est à la fois plus riche et compliquée qu’en France », résume Jean-David Tartour, qui est associé à Jérôme Meary sur l’affaire, un autre Français agent de joueur entre les deux pays. « En France, on faisait 90% de notre chiffre d’affaires sur le foot, et le reste sur le bar. Ici c’est 60% d’un côté et 40 de l’autre. L’aspect social avec bar, restauration et événementiel est primordial. Il faut penser l’espace comme un véritable lieu de vie, c’est pour ça qu’on a choisi cet endroit avec un grand rooftop et une belle vue sur Manhattan ».
« Effectivement, nous avons également dû nous adapter en incluant une bonne partie de food & drinks dans notre offre à SoFive, confirme Charles Lagayette. Plus globalement, nous avons eu la chance de pouvoir compter rapidement sur la communauté hispanique, qui a des habitudes et une passion similaire à la nôtre en Europe. Il y a également une part très élevée de jeunes dans l’utilisation de nos infrastructures, par l’intermédiaire des clubs et des académies ». En France, les clubs jouent, pour la majorité, gratuitement sur des terrains municipaux alors qu’à New York, c’est souvent la foire d’empoigne pour trouver un stade disponible. « Nous accueillons notamment l’académie de Manchester City et des clubs locaux qui réservent leur terrain sur plusieurs mois », détaille Charles Lagayette.
Le rapport des Américains au football, ou plutôt au soccer, est également différent de l’autre côté de l’Atlantique. « En rentrant à Socceroof, vous tombez sur trois fresques représentant les maillots de Maradona, Pelé et Zidane. On me demande régulièrement qui sont ces joueurs... Ça peut surprendre au début, en réalité le foot est plus perçu comme un loisir que comme une passion inconditionnelle ici », raconte Jean-David Tartour. « Il faut s’adapter, éduquer, expliquer parfois les règles, les positions des joueurs sur le terrain, les équipes et joueurs professionnels à suivre. Mais on sent que l’aspect socio-culturel du foot est en train de prendre. »
Des investisseurs solides pour passer la crise du Covid
L’épidémie liée à la Covid-19 a mis un coup d’arrêt aux activités de Socceroof et SoFive, obligés de fermer leurs portes à New York en mars 2020, avant de pouvoir rouvrir progressivement à partir de l’été. « On a essayé de traverser la période avec le plus de calme possible. Heureusement, nos investisseurs historiques ont vécu d’autres crises dans le passé, et ont pu nous donner beaucoup de conseils », explique Charles Lagayette.
SoFive a levé deux millions de dollars en 2015 pour son premier centre avec l’aide d’Alain Lebleu, un Français qui a fait fortune dans l’immobilier, et celle de l’ancien attaquant de Lyon puis des New York Red Bulls Peguy Luyindula. L’enseigne compte également quelques amis influents, comme l’ancien président des New York Red Bulls et de l’AS Monaco Jérôme de Bontin. Socceroof a réalisé deux levées de fonds pour ses trois centres à raison d’un million de dollars par lieu, auprès d’investisseurs tout aussi prestigieux comme le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux et l’ancien international passé par le Bayern Munich Bixente Lizarazu.
« La part du loyer à New York pèse beaucoup plus dans l’activité qu’en France. Il a fallu trouver des solutions avec notre bailleur pendant la crise qui, heureusement, nous a aidés », confie Jean-David Tartour qui travaille avec un consultant en immobilier pour négocier les prix et trouver de nouveaux lieux. « Il faut clairement être expert en immobilier pour réussir dans ce métier. Nous n’aurions rien pu faire sans l’aide précieuse d’Alain Lebleu », ajoute Charles Lagayette.
« La partie RH est la clé de cette industrie »
Les deux entrepreneurs ont pu également profiter des aides de l’Etat de New York pour s’en sortir pendant la Covid, avec l’obtention d’un PPP, un prêt aidé destiné au personnel. C’est d’ailleurs dans leurs collaborateurs que Lagayette et Tartour expliquent aussi la réussite de leur business. « L’expérience m’a apprise que les meilleurs managers de centres sont ceux qui ont commencé avec nous et ont grimpé les échelons petit à petit », estime le co-fondateur de SoFive. On est dans un domaine passion avant tout. Il faut d’abord des gens qui aiment ce qu’ils font et vivent le foot aussi intensément que nous ». Le manager de Socceroof, Jonathan Lupinelli, est lui aussi français et ancien joueur de haut niveau. « Ce sont les hommes qui prennent les décisions et font avancer le business, il faut donc savoir s’entourer », approuve Jean-David Tartour.
Socceroof veut continuer sa marche en avant en 2022 en ouvrant son quatrième centre au début d’année. « Il serait plus confortable de rester à New York car on connaît le marché et que notre enseigne est maintenant connue et crédible. Mais en même temps, on aimerait s’exporter dans une autre ville pour montrer qu’on peut le faire et valoriser notre marque ». Jean-David Tartour a coché les noms de Boston et Montréal, deux villes « froides » où un centre de foot à cinq en intérieur prendrait encore plus son sens.
L’enseigne SoFive vient, quant à elle, de s’associer au célèbre City Football Group, notamment propriétaire de Manchester City et du NYC FC, en devenant co-actionnaires de leurs quatre centres Goals situés dans le sud de la Californie. « Nous avons repris la gestion de leurs établissements, précise Charles Lagayette. Ils ont vu en nous cette expertise opérationnelle, de terrain. C’est une grande fierté de s’associer à un groupe si prestigieux, et de nous développer sur la côte Ouest. Nous sommes très ambitieux et ne comptons pas nous arrêter là. »