Pour beaucoup, le Texas, c’est le pétrole, les Bush père et fils, les armes et les gros hamburgers, mais pas vraiment le “hipster cow-boy”. Cette drôle d’espèce se trouve pourtant dans le sud-ouest de l’Etat, à quelques kilomètres de la frontière mexicaine, dans la ville de Marfa, 2.000 habitants, un feu rouge et 14 galeries d’art. Une surprenante injection de sophistication au milieu du désert texan du Chihuahua.
Marfa est un village texan plat, plutôt vide et entouré de ranchs. Mais en se renseignant, on découvre vite les nombreuses activités culturelles de la ville. Le soir même de notre arrivée, au Ballroom, est organisée une projection de courts-métrages sur le thème de l’« auto-érotisme », ou l’érotisation des véhicules comme les camions et les voitures. Nous sommes accueillis par des jeunes gens beaux et branchés qui semblent tout juste débarqués de Williamsburg, quartier hipster de New York. La projection commence… avec un film d’auteur que l’on peut tout simplement qualifier de “porno”. Face à un public mixte de ranchers chaussés de santiags, de couples âgés et de jeunes hipsters locaux en chemise à carreaux, on oublierait presque que l’on se trouve au beau milieu du Texas, Etat conservateur par excellence.
Comment cette petite ville du Texas d’abord créée comme un énième arrêt sur la voie ferrée est devenue arty et libérale ? Si le tournage du western Giant avec James Dean, en 1953, a donné une certaine popularité aux lieux, tout a véritablement commencé avec l’arrivée d’un homme : Donald Judd. En 1978, subjugué par la lumière naturelle si intense de Marfa, cet artiste minimaliste quitte New York pour venir créer et exposer ses sculptures dans le désert. Il y fait l’acquisition d’un ancien complexe militaire abandonné. Avec l’aide de la fondation Dia, il le transforme en un centre d’art contemporain dédié à son oeuvre et à celle de quelques artistes amis: la Fondation Chinati est aujourd’hui un impressionnant musée qui se visite en se promenant dans un paysage désertique ponctué d’œuvres d’art.
« Il ne faut pas rêver, Donald Judd ne se souciait ni du mélange social ni de rendre l’art accessible. Il cherchait de l’espace et de la lumière, il a trouvé Marfa. Si des ranchers se sont progressivement ouverts à son projet, une frontière a toujours existé entre les locaux et lui », résume Eugene Binder, marchand d’art new-yorkais qui rencontra l’artiste à de nombreuses reprises et fut le premier à ouvrir une galerie à Marfa, au début des années 90. Selon lui, Judd a lancé un mouvement : il a mis Marfa sur la carte de l’art contemporain, y attirant ainsi de jeunes artistes (notamment via les bourses de la fondation Chinati) et des marchands d’art. Cette population a donné une dimension créative à Marfa. La ville s’est mise à attirer des jeunes gens en quête « d’autre chose ». Sont arrivés les ateliers de tricotage, de design de meubles, une librairie d’art et les concerts d’avant garde du Ballroom…
Marfa ne pouvait plus que devenir branchée. « Cela date de 2005 », raconte Zven Zbinden, jeune architecte d’origine suisse installé à Marfa avec sa mère depuis près de dix ans. La famille est propriétaire du Squeeze café, l’un des rares endroits au Texas où le chocolat chaud est préparé avec du vrai chocolat suisse. « C’est le moment où le film There Will be blood avec Daniel Day-Lewis est tourné à Marfa. Les acteurs s’y installent, les journaux people parlent de la ville… Et l’effet bouche-à-oreille fait le reste. Il fallait venir à Marfa, et si possible en hélicoptère pour atterrir le plus près possible de la ville ! », raconte-t-il, amusé. Cet effet de mode a eu un effet immédiat : la construction de villas d’architecte un peu partout dans la ville et le prix de certains terrains multiplié par dix… Deux hôtels branchés sortent de terre : le Thunderbird et El Cosmico, qui réinvente la caravane et le tepee, version chic.
Pour toutes ces raisons, Marfa énerve et séduit à la fois. Pour avoir réussi à susciter une telle créativité au fin fond du Texas, la ville vaut le détour. Et Marfa reste le point de départ parfait pour découvrir une région dont la beauté laisse sans voix. Au sud de Marfa, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, se situe le National Big Bend Park, connu pour sa diversité biologique exceptionnelle. Les touristes y sont rares et le silence est d’or. Et pour ne pas perdre nos hipsters de vue, rendez-vous à la sortie du parc, dans la ville de fantôme de Terlingua, au Starlight Theatre, un théâtre désaffecté transformé en saloon moderne où la margarita coule à flots, accompagnée de chili végétarien. A déguster en regardant le désert.
Quelques liens Utiles
– Pour visiter Marfa, il est conseillé d’atterrir à l’aéroport d’El Paso ou Alpine puis de louer une voiture.
– Des adresses pour se loger à Marfa : cliquer ici. L’autre option est de loger à Alpine, située à 40 km de Marfa, avec une gamme d’hôtels bien plus vaste : cliquer ici.
– La présentation du National Big Bend Park ici . Et voici le site de l’unique lodge existant dans le parc, le Chisos Mountains lodge.
– A la sortie du parc, la ville fantôme de Terlingua Ghost Town : cliquer ici
0 Responses
Dépaysement garanti. La culture peut-être et reste l’élément fondateur de toute société ( si petite soit-elle ) qui se reconnait dans tous ses aspects: découverte de l’art sous toutes ses formes, naissance d’artistes, liens sociaux etc. A partir d’un projet personnel , somme toute égoïste, un projet commun est né. BRAVO à tous ceux et celles qui s’y sont consacrés car l’évolution sociale a pu s’enclencher et une ouverture commune s’est petit à petit fait sentir; d’autant plus que le Texas était considéré comme un état conservateur.
J’ai connu le même processus lorsque j’ai enseigné le français à de jeunes nomades du sud algérien. Je les ai vus s’éveiller à la modernité, à une autre sorte de pensées qui les a entraînée vers plus de tolérance, de compréhension. VIVE la culture sous toutes ses formes.