Dans l’église Saint Sebastian de Los Angeles, une photographie du pape François a été installée, encadrée par le drapeau du Vatican et celui des États-Unis, et floquée d’une bande noire, « pour manifester notre deuil », indique le Père German Sanchez. Pour ce Colombien, aumônier depuis 20 ans de la communauté francophone de LA, l’annonce de la mort du chef de l’Eglise catholique, lundi 21 avril à l’âge de 88 ans, s’est accompagnée de tristesse, mais surtout d’un sentiment « d’action de grâce ». Gratitude pour son départ sans souffrance, le lendemain de Pâques, et gratitude pour sa mission, remplie « jusqu’au dernier jour », qui a « marqué profondément l’Église et le monde ».
Toute la semaine, la mémoire du pape était au cœur des messes célébrées dans les églises catholiques d’un bout à l’autre du pays, qui abrite la quatrième communauté catholique au monde. Elle le sera encore ce week-end, alors que des milliers de pèlerins et de chefs d’État sont attendus à Rome, ce samedi 26 avril, pour les obsèques du pape. À Los Angeles où la communauté catholique compte de nombreux hispaniques et des personnes originaires du monde entier, le pape François était « très aimé », souligne le Père German Sanchez. « C’était un homme très humain, qui a su toucher le cœur de beaucoup d’hommes et de femmes, même non-croyants, rappelle-t-il. Il était proche des pauvres, de ceux qui souffrent, qui se sentent oubliés ou méprisés dans la société.»
Lui-même a été profondément marqué par le pape jésuite qu’il a rencontré plusieurs fois au cours des 12 ans de son pontificat : « Il n’était pas un “super-pape”, mais avant tout un homme, chargé d’une mission énorme, qui avait demandé avec humilité, dès sa première apparition : “Priez pour moi”». Lors de la visite du pape François aux États-Unis en 2015, le Père German Sanchez avait participé à une rencontre à Washington avec un groupe de paroissiens de Los Angeles. À Philadelphie, le pape François avait secoué l’épiscopat américain, en l’invitant à « descendre de son piédestal pour se mettre au service de son peuple », se remémore le prêtre. Il avait aussi délivré un message neuf sur la famille, en invitant l’Église à « ouvrir la porte, aux divorcés-remariés, aux homosexuels, à tous ceux qui frappent à sa porte » poursuit-il.
Mais c’est sa rencontre en petit comité avec le pape, en octobre 2022 à Rome, qui l’a le plus marqué, par l’intensité de sa « présence ». L’évêque de Rome recevait alors un groupe d’une soixantaine de représentants des aumôneries francophones du monde entier, qu’il a pris le temps de saluer un par un. Michèle Cassidy, qui vit à Los Angeles depuis 1968, faisait partie de la délégation. « C’était un grand privilège d’être un tout petit groupe dans une salle du Vatican, où le Saint Père est venu en marchant difficilement, se souvient-elle. Il souffrait beaucoup de ses genoux, et marchait sans aide, avec une canne. Mon mari et moi, nous lui avons parlé en espagnol. J’ai le souvenir de sa douceur, de sa gentillesse, il a pris le temps de nous écouter. »
L’humanité du pape, c’est ce qui a ramené vers l’Église Amélie, 43 ans, maman divorcée de 3 enfants, qui vit depuis 20 ans à Oakland, dans la baie de San Francisco. « Je me suis éloignée de l’Église au moment de mon divorce, et je m’en suis rapprochée en grande partie grâce au pape et à son message beaucoup plus accueillant vis-à-vis des divorcés que les papes précédents, témoigne la Française. En tant que maman, c’est ce message d’amour, de pardon, d’ouverture vers les autres que je veux transmettre à mes enfants » Une fois par mois, elle aime se rendre à une petite messe dans sa langue natale, à l’église Saint Charles d’Oakland prêtée par la paroisse américaine, où se retrouvent huit familles francophones aux origines très diverses, autour du Père Didier Cimalamungo, un jésuite originaire de République démocratique du Congo.
Le jeune prêtre, qui étudie actuellement la théologie à l’Université jésuite Santa Clara de Berkeley, a rencontré le pape François sept fois, y compris en République Démocratique du Congo, où le souverain pontife s’était rendu en 2023. « C’est une personne qui a vécu parmi nous, entre nous et avec nous » remercie le Père Didier Cimalamungo. Du pape, il ne retient pas tant ses discours « ciselés » que ses engouragements paternels, prodigués hors caméras, comme cette phrase : « Supportez-vous dans votre vulnérabilité ». Il conservera « comme une relique » un autographe qu’il avait demandé au pape à la fin d’une audience.
Marguerite Higby, 32 ans, vit à Washington avec son mari américain et leurs deux petites filles de 2 ans et demi et 6 mois. La petite dernière a été baptisée dimanche dernier, jour de Pâques, à Saint-Louis de France, une « petite paroisse dynamique » où ils aiment retrouver des francophones pour la messe le dimanche. Pour la jeune femme « de sensibilité jésuite », le pape François a été à l’origine de sa prise de conscience écolo, en 2015, avec son encyclique verte Laudato Si. « Avant d’avoir lu “Laudato Si”, pour moi, l’environnement, c’était un sujet pour les bobo-écolos, et tout à coup, j’ai compris le lien entre prendre soin de la terre et prendre soin de ses habitants. Ça a été un moment assez fondateur » insiste–t-elle, citant aussi le film « Demain », de Cyril Dion.
L’appel du pape à plus de sobriété l’a poussée à changer son mode de vie, y compris aux États-Unis, un pays qu’elle trouve « en retard » par rapport à la France sur le sujet. Marguerite et son mari ont ainsi choisi d’acheter une maison plus petite en centre-ville de Washington, afin de déposer leurs enfants à la crèche en vélo-cargo électrique le matin (au lieu de vivre en banlieue avec deux voitures), de réduire leur consommation de viande, et de limiter leurs vols en avion à un aller-retour par an en France.
Comme beaucoup de catholiques, elle espère l’élection d’un futur pape dans la lignée du pape François. « J’espère que le prochain pape continuera ce qu’il a commencé » se projette Marguerite. Même souhait pour Amélie, qui redoute, dans le contexte du retour au pouvoir fracassant de Donald Trump, l’arrivée d’un pape « conservateur. » « Je ressens de la crainte, car on a Trump qui amène beaucoup d’énergie négative, à l’opposé du pape, qui était dans l’humilité, la gentillesse, le pardon » glisse-t-elle.
S’il sera difficile de suivre l’événement en direct en raison du décalage horaire, les catholiques francophones des États-Unis vont s’associer, par la prière et grâce aux médias, aux obsèques du pape François, ce samedi 26 avril à 9h45 am heure locale, sur le parvis de la Basilique Saint-Pierre à Rome. Dans le Westchester, au Nord de New-York, Cécile Boucquillon a prévu de suivre la célébration en différé grâce aux chaînes de télévision françaises. « C’est un pape qui a remis l’Eglise à la place qu’elle doit occuper, pour moi, au milieu des pauvres, en donnant l’exemple lui-même l’exemple » souligne-t-elle. Membre de la dynamique paroisse francophone de Saint John and Paul de Larchmont, rattachée à l’école américaine du même nom, elle ne se sent pas seule, dans ce moment de deuil et de changement pour l’Église.
À Los Angeles, le Père German Sanchez veillera tard durant la nuit pour vivre en direct les funérailles du pape François, « en communion » avec Rome en ce jour spécial, qui sera aussi celui de son anniversaire.