« Mettez-vous bien contre le mur et on ne double personne ! » hurle Juanita du haut de ses 71 ans et de son mètre 55 ! Il est 11am, une longue file de cabas s’est formée devant un appentis coloré sur lequel est peint : « Harlem will never starve ». Cette cabane, c’est The 155 Street Fridge, le projet ambitieux d’une Française qui a décidé de venir en aide aux populations de ce quartier défavorisé en leur offrant un accès à des produits frais. « L’idée, c’était de récupérer les invendus des supermarchés et commerces alentours et de les mettre à disposition des habitants du coin. J’avais vu une dame près de chez moi qui faisait ça, je trouvais ça incroyable », explique Stéphanie Tonnoir, la trentenaire à l’origine du projet.
Août 2019, grâce à ses contacts dans la restauration, Stéphanie Tonnoir met vite la main sur un gros réfrigérateur inutilisé et demande à la maison des jeunes du coin si elle peut l’y brancher. Personne ne se doute que le monde est à la veille d’une crise sanitaire terrible. « Le frigo a pris une toute autre dimension pendant le Covid. Il est devenu vital. Grâce aux nombreux programmes de la ville, on a pu le remplir sans difficulté et aider des centaines de famille ».
À l’origine soutenue par deux amies, Stéphanie Tonnoir se retrouve vite à gérer seule cette grosse machine. La construction d’une structure en dur pour le frigo, son nettoyage, les réceptions de marchandises, leur stockage, les distributions… « Ça demandait énormément d’investissement personnel… Moi j’ai trouvé ma voie. Aider les autres, être ici avec eux, apprendre à les connaître, c’est ça qui me nourrit », raconte la jeune femme qui travaille par ailleurs dans l’importation de vin.
Depuis quatre ans, tous les samedis et dimanches, la fondatrice de The 155 Street Fridge organise une grande distribution de produits frais et de plats préparés. Ce matin de mars, plus de 80 personnes font la queue dans le froid pour récupérer gratuitement laitues, tomates, pastèques, pommes… Des fruits et légumes de saison qu’elle fait venir grâce à différents réseaux et associations comme evlovesnyc ou Gotham food pantry. Le reste du temps, hors week-end, le frigo fonctionne comme un self-service où chacun peut y déposer ou y prendre des denrées à sa guise.
Mais plus qu’un simple lieu de ravitaillement, le frigo est devenu un point de rencontre et d’échange entre les habitants du quartier. « Personne ne se parlait avant. Ils vivaient à côté sans se connaître. Maintenant il y a une vraie énergie d’entraide », s’enorgueillit celle qui a fédéré tout un quartier autour de son initiative.
Pourtant, tout n’a pas toujours été aussi rose que les murs de la petite cabane. Stéphanie Tonnoir se souvient qu’il a fallu lutter contre certains clichés. « Je suis blanche, je suis étrangère… Ça n’a pas été facile de se faire accepter même si c’était pour une bonne cause. En m’installant sur ce trottoir, j’empiétais sur le terrain des dealeurs, des prostituées. J’ai même reçu des menaces de mort ».
Elle peut aujourd’hui compter sur sa team. Des gens du quartier qui, petit à petit, se sont greffés au projet et ont participé au succès de son frigo communautaire. Il y a Juanita, 71 ans, en charge de l’organisation de la queue; Sam, le grand gaillard de 18 ans qui aide Stéphanie à décharger les marchandises et la remplace quand elle s’absente pour son travail; Henri le vétéran qui garde un œil sur le bon déroulement de la distribution; et Aiden, 13 ans, le petit protégé de la Française. « J’adore venir aider Stéphanie, c’est plus qu’une amie. Grâce à elle, je me sens utile », confie-t-il, timide, entre deux allées et venues en vélo.
De temps en temps, elle peut aussi compter sur le soutien d’une autre Française, la cheffe Alexia Duchêne. « Ce qu’elle fait, c’est extraordinaire, dit-elle de Stéphanie Tonnoir. En janvier, j’ai participé à une de ces distributions en préparant une centaine de sandwiches. J’ai prévu de le refaire. C’est important qu’elle se sente soutenue. Et pour moi, ce n’est pas que donner de la nourriture, c’est partager un moment avec ces gens. »
Instagram will load in the frontend.==
Au-delà de la bonne action, The 155StreetFridge, c’est surtout une initiative dont l’impact se mesure à l’échelle d’un quartier. Un projet social que Stéphanie Tonnoir aimerait voir grandir. La jeune femme est toujours à la recherche de nouveaux sponsors, partenaires et accepte aussi les dons nécessaires au fonctionnement de son frigo. Vous pouvez la joindre via son Instagram, @the155streetfridge.