Quelle mouche a piqué Roland Belloir pour envoyer valser le confort de sa vie d’expatrié de Thales à Orange County ? Maison spacieuse, salaire généreux, bonne école pour les enfants. « C’est ennuyeux. Moi ce que j’aimais, c’était venir à Los Angeles pour la scène musicale », répond-il. Plus affriolant que les couloirs moroses du service financier du groupe d’aérospatiale, à ses yeux, le milieu underground d’Echo Park, quartier des musiciens de la Cité des Anges. Autour de Sunset Boulevard, accolé au quartier branché de Silver Lake, les petites salles de concerts y bourgeonnent. De plus en plus réputés, ces lieux de culte de la jeunesse bohème sont encore préservés de la foule et de la prétention qui emplissent les clubs d’Hollywood. A Echo Park, pas de Limousines ou de BMW flambant neuves, exit le costard-cravate, souvenir de quinze ans passés en grande entreprise. Désormais élément d’un décor rock’n’roll, à l’angle de Sunset et Alvarado, ce « parfait produit de l’académisme français : école de commerce, banque et contrôle de gestion », comme il se décrit, arbore le style local : cheveux longs, jeans, lunettes à montures en plastique.
Une telle métamorphose ne s’est pas faite en un jour. C’est après deux ans à Orange County que Roland Belloir rompt son contrat d’expatriation. « Faire cela est très mal vu dans une boîte », dit-il. Résultat, à son retour, les choses s’enveniment. Un an plus tard, en avril 2009, Thales le remercie. Sur le carreau avec des indemnités de licenciement et des souvenirs d’Echo Park pleins la tête, ce passionné de musique se lance dans un projet « à gros risque, hyper casse-gueule ». «Quand j’étais financier, je n’aurais pas soutenu un projet comme ça », plaisante-t-il. Et pour cause, LA n’a pas attendu la Fretted Frog (nom de sa boutique) pour se faire ses lettres de noblesse dans l’industrie musicale. Les musiciens les plus célèbres y vivent. Et pas les plus mauvais guitaristes. Il sait par exemple que Ben Harper réside à quelques pas de là, dans le coin arty de Los Feliz. La concurrence est donc rude parmi les revendeurs de six-cordes, entre les magasins dominants de West Hollywood que sont Guitar Center et, dans une moindre mesure, Sam Ash, et ceux du west side, de Santa Monica et Westwood. Son avantage : il est seul sur le east side. En sus, il offre des cours de musique.
« J’ai bien étudié le terrain. J’espère attirer la clientèle de Glendale, Burbank, Pasadena et Los Feliz », dit-il. Il sait qu’à Echo Park, les musiciens sont plutôt désargentés. D’ailleurs, ses rivaux se sont implantés « là où il y a du pognon, pas forcément du talent », note-t-il. Lui, c’est l’inverse. Les artistes locaux « font vivre la boutique grâce à des petits concerts, ou viennent faire réparer leur matériel, mais pas acheter des guitares chères ». Point majeur sur lequel ce Toulousain mise pour se faire une place au soleil : être spécialiste de guitares rares, pointues. Dans le jargon des guitaristes, « pas de Gibson ici ». Revendeur d’acoustiques, mais aussi d’amplis, de banjos et de ukulélés, Roland Belloir fait le pari des luthiers de qualité peu connus, de la marque française Lag à l’Irlandaise Lowden. Un pari de long terme puisque s’il lui faut vendre une guitare par jour pour « vivre bien », il est encore « loin du compte ».