Mille millions de mille sabords! Les tintinophiles du monde entier sont vent debout après la mise à l’index de leur héros par la respectable Brooklyn Public Library (BPL). La semaine dernière, le New York Times a en effet révélé que l’institution a décidé, en 2007, de mettre sous écrous son exemplaire de « Tintin au Congo », jugé trop offensant par un mécène. En cause : les accents racistes de l’album d’Hergé, publié au début des années 30 à l’époque du Congo belge, assimilant les Africains à des singes ou moquant leur accent. « Ce n’est pas pour le public » a simplement commenté la responsable du rayon enfant auprès du quotidien new yorkais.
Ce n’est pas la première fois que « Tintin au Congo » provoque des remous. En 2007, un étudiant congolais, jugeant l’ouvrage raciste, avait décidé de porter plainte auprès de la justice belge pour interrompre sa commercialisation. Des plaintes similaires ont également été déposées en Angleterre où le groupe américain Borders a décidé de déplacer l’album du rayon enfant au rayon adulte.
La décision de la Brooklyn Public Library, où « Mein Kampf » notamment est toujours en libre accès, a provoqué des réactions contrastées. En France, l’écrivain Pierre Assouline déplorait ainsi dans son blog, avec une ironie non feinte, la décision de la BPL. Autre son de cloche : Patrick Lozès, responsable du Cran, le Conseil représentatif des associations noires de France, s’est lui félicité de « la sage décision » de la BPL: « Cet ouvrage tel qu’il est présenté aujourd’hui, est lu par de jeunes esprits qui ne peuvent pas tous, faire la différence entre la caricature et la réalité, argumente-t-il sur son blog. Plusieurs solutions consensuelles existent. Le plus simple, pour éviter les actions notamment judiciaires qui se préparent en coulisses contre « Tintin au Congo » serait que les éditeurs et les ayants droit acceptent d’ajouter un texte didactique sur cet album ».
A New York, les bibliothécaires et libraires contactés par French Morning semblent comprendre la décision de la BPL. « Ils gèrent leurs collections par rapport à leur public, l’actualité et le respect des valeurs communes de la démocratie, estime Katharine Branning, Vice Présidente chargée de la John and Francine Haskell Library au FIAF. Les « livres de l’enfer » existent dans toute bibliothèque, ils sont peut-être rangés à part, mais figurent dans le catalogue pour les lecteurs qui veulent aller plus loin ». Le patron de la Librairie de France, où « Tintin au Congo » est vendu, plaide quant à lui pour une solution intermédiaire, entre interdiction et liberté d’expression. « [A la Librairie de France], le livre n’est pas placé de manière visible. Nos clients doivent le demander pour l’obtenir, précise Emanuel Molho. Je crois que les librairies devraient avoir ce livre, de la même manière qu’ils devraient avoir des livres antisémites, antimusulmans ou anti- quoique ce soit. Mais ces livres ne devraient pas être mis en évidence ». Pour sa part, Harris Healy, directeur du Logos Bookstore de Manhattan, souligne le poids du contexte local dans la décision de la BPL : « Je peux comprendre le blacklisting de « Tintin au Congo » par la BPL en raison de l’importance à Brooklyn comme dans le reste de New York des populations afro-américaine, noire-africaine, haïtienne et caribéenne. L’attitude d’Hergé à l’égard des Africains apparaît aujourd’hui comme quelque peu condescendante, potentiellement raciste et offensante. »
La BPL, qui n’a pas pu être jointe, précise dans une lettre au New York Times que le livre a été déplacé dans les rayons de la Hunt Collection, une collection de livres historiques placée dans un coffre fort consultable seulement sur rendez-vous. Le méchant Rastapopoulos en rêvait, les Brooklynites l’ont fait: mettre le reporter à la houppette en cage.
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