Depuis la rue, les passants devinent des bouteilles de vin et des verres derrière le mot Laundry, écrit sur la vitrine. Bienvenue à Fulgurances, Laundromat, un restaurant venu de France qui a ouvert ses portes dans une ancienne laverie de Greenpoint, à Brooklyn. « On ne pouvait pas changer la devanture car nous sommes dans un bâtiment historique. Cela nous aurait coûté 20 000 dollars », explique Hugo Hivernat, l’un des fondateurs.
Heureusement, le nom se marie plutôt bien avec le concept du restaurant, un programme de résidence culinaire où les chefs « tournent », tel le linge dans le tambour. Pendant leur séjour de trois à six mois dans cet endroit d’une trentaine de places assises, ils ont ainsi la possibilité de laisser libre court à leur imagination et de se frotter à la gestion d’un restaurant. Jusqu’en mars, c’est la cheffe franco-britannique de 26 ans, Alexia Duchêne, révélation de l’émission Top Chef sur M6 en 2019, qui sera aux fourneaux de cet incubateur spécial. « J’ai une grosse affection pour New York et les États-Unis. Cette résidence est un bon premier pas. Elle me permet de travailler avec des équipes locales, d’explorer ma créativité pour m’adapter aux palais américains », explique-t-elle lors d’une courte pause lors de la préparation du menu du soir.
Elle est quatrième résidente de Fulgurances, Laundromat depuis l’ouverture des lieux en mai 2021 – le restaurant devait voir le jour avant, mais la pandémie en a décidé autrement. Derrière le concept, deux amis qui voulaient mettre à l’honneur des chefs de talent mais peu connus. En 2010, Hugo Hivernat, un ancien de l’événementiel, et son amie Sophie, journaliste, ont décidé de monter des soirées culinaires à Paris, « Les seconds sont les premiers », pour mettre en lumière les sous-chefs de restaurants prestigieux. Le coup d’envoi a été donné avec celui de Noma, le fameux restaurant de Copenhague. « À l’époque, les chefs commençaient à être médiatisés et ils étaient moins en cuisine. Ils se reposaient sur des seconds dont personne ne parlait ! », précise Hugo Hivernat.
Après une cinquantaine d’événements, l’équipe décide de franchir une nouvelle étape. En 2015, elle ouvre son premier restaurant – Fulgurances, L’adresse – pour accueillir des chefs en résidence. Le profil : des professionnels de la cuisine prometteurs, qui ont envie de se perfectionner dans leur art. « On voulait leur fournir un cadre où ils n’avaient pas besoin de s’occuper de l’organisation, de la comptabilité… On leur met à disposition des équipes fixes solides et un cahier des charges, mais ils ont beaucoup de liberté pour faire la cuisine qu’ils veulent ». La formule fait le bonheur des foodies. Grâce à sa programmation exigeante et de qualité, Fulgurances s’étend et ouvre un bar un vin puis un second restaurant, situé dans les locaux de l’Entrepôt, le cinéma indépendant du XIVe arrondissement de Paris. « Quand nous avons démarré, les mots ‘chefs’ et ‘résidence’ n’allaient pas ensemble. Depuis, ça a bien changé ! », observe Hugo Hivernat.
Et le lancement à New York dans tout ça ? « C’était plus une question d’envie personnelle que de stratégie», admet-il. Désireux de vivre une expérience à l’étranger, il s’installe dans la Grosse Pomme en 2019 avec l’un des associés, Pierre Buffet, pour démarrer Fulgurances en terre new-yorkaise. Face aux loyers prohibitifs de Manhattan, ils jettent leur dévolu sur une ancienne laverie de Franklin Street, le deuxième local qu’ils ont visité. « Il y avait encore des machines à l’intérieur, se souvient Hugo Hivernat. Au début, nous avons vu débarquer deux personnes avec leur linge sale ! »
Après quelques péripéties – dont la crise sanitaire -, le ruban est finalement coupé, avec la résidence de la cheffe chiléenne Victoria Blamey (Mena). Elle sera suivie de la Mexicaine Mariana Villegas (Contramar, Cosme…) et de l’Américain Aaron Rosenthal (ADAR, Clamato…). Le résident vient seul. Il est accueilli par une équipe fixe de quatre personnes, payée « en salaires et non à l’heure » par Fulgurances, pour l’épauler dans son travail. « Ce qui nous intéresse, c’est l’évolution de la créativité du chef pendant la résidence », poursuit le Français.
Certains jours, le chef cède les manettes aux membres de l’équipe pour permettre de mettre en valeur leur travail auprès des clients. « Tout le monde est content », se félicite Alexia Duchêne, qui a commencé son séjour à la mi-janvier. Passée par les cuisines de grands chefs, elle aimerait ouvrir son propre restaurant à New York. L’histoire se souviendra peut-être qu’elle a commencé son aventure américaine dans une ancienne laverie.
Photo et crédit : Fulgurances, Laundromat