Quand on pousse les portes de Raclette dans l’East Village, on est accueilli à bras ouverts par la bonne odeur de fromage fondu. La température monte d’un cran, bien aidée par les appareils à raclette chauffés à blanc au fond de la salle, dans une petite cuisine.
Pour être convaincu de l’essor de la raclette aux Etats-Unis, il suffit de regarder la transformation du restaurant. Quand Edgar Villongco a lancé l’affaire en 2015, il était dans un local de 14 places assises à Alphabet City, le quartier voisin. Trois ans plus tard, adoubé par les critiques et les amoureux de fromages, il a investi un local plus important, qui permet de recevoir une quarantaine de clients.
“Dans l’ancien espace, nous avions mis en place un système de réservations en ligne et d’autres modèles pour maximiser le nombre de personnes accueillies, mais cela n’était pas suffisant“, explique Edgar Villongco. Lors d’une visite un après-midi de décembre, le nouveau restaurant était presque plein. Et ne pensez pas qu’il s’agit du froid. “En été, nous avons un autre type de clientèle, des touristes d’Amérique latine, qui sont curieux de découvrir la raclette“, poursuit le restaurateur.
Depuis quelques années, la raclette fait florès dans le Nord-est américain et dans des parties du pays où on l’attend moins. On en trouve aussi bien dans l’Illinois, la Pennsylvanie et le Colorado qu’en Californie ou dans l’Oregon. À New York, en dehors de Raclette, seul restaurant entièrement dédié au plat dans la ville, on en trouve sur de nombreux autres menus (le rooftop d’Eataly Baita, Le Troquet, Café Select…). Elle a même inspiré deux jeunes entrepreneurs avec de la suite dans les idées à lancer un service de livraison de fromage et d’appareils à domicile.
Jusqu’à présent, les Américains, toujours très friands de fromage fondu (et de fromage sous plein d’autres formes d’ailleurs) étaient plutôt attirés par la fondue. Cette dernière s’est généralisée dans les années 60, sur fond de révolution sexuelle. “C’est un plat social. Cuisinier ensemble au-dessus d’une flamme favorise les conversations, quand ce n’est pas la chaleur et l’intimité. Cette interprétation de la fondue a tenu pendant des années; dans le film de Marvel en 2011, même Capitaine America utilise la fondue comme un euphémisme pour le sexe“, analyse le site Eater.
Dire que la raclette inspire le sexe serait un peu exagéré. “Beaucoup d’Américains trouvent que cela sent mauvais. Quand Trader Joe’s faisait des demonstrations de raclette, beaucoup de clients se plaignaient de l’odeur“, explique Diane Sauvage, responsable Etats-Unis des exportateurs de fromages français Interval Export, pour expliquer le manque de popularité du plat jusqu’à présent. Autre défi: il faut avoir l’appareil adéquat pour fondre le fromage.
Pour cette professionnelle, le regain d’intérêt observé “depuis trois-quatre ans” correspond à l’arrivée du fromage à raclette dans les rayons de la chaîne Trader Joe’s – “c’est un lanceur de tendances” – et au “travail de fond opéré par plusieurs exportateurs”. “C’est un fromage qui a un bon rapport qualité-prix. Il est bon même sans être chauffé et répond bien au besoin américain de fromage grillé”, avance-t-elle. Selon Diane Sauvage, ses ventes de fromages à raclette ont augmenté de “30-40%” ces trois dernières années.
Dans son restaurant de Buffalo (Etat de New York), Raclettes, Sandra Wilkins affirme que 40% de ses ventes sont des raclettes. “Quand nous avons ouvert il y a deux ans, nous voulions faire un restaurant dédié à la raclette. Nous devions expliquer ce que c’était, comment ça marchait… Nous mettions l’appareil sur la table. Peut-être que cela intimidait les clients. Cela ne prenait pas, donc nous avons décidé de faire un menu de bistrot, se souvient-elle. Mais aujourd’hui, l’intérêt a grandi. C’est lié à la mondialisation. Les Américains voyagent plus“.
Jusqu’où la raclette peut-elle séduire ? Elle est un plat saisonnier, qui s’apprécie dans les régions froides. Mais dans un pays aussi vaste que les Etats-Unis, le marché reste important. La conquête ne fait que commencer.