Vous n’avez pas pu passer à côté. Cet hiver, et sans doute encore tout le printemps jusqu’à cet été, ces violons qui montent très haut dans les aigus et cette voix nasillarde ont dû vous paraitre familiers à vos oreilles françaises. Le single Monaco de Bad Bunny, avec Al Pacino en guest star d’un clip tourné en partie à Carbone, a samplé non seulement la mélodie d’intro mais aussi la voix de Charles Aznavour dans son morceau « Hier Encore » (1964).
« Monaco » a tourné en boucle sur les ondes, et sur les plateformes de streaming, où le rappeur portoricain a trusté les écoutes en 2023. Son album « Un verano sin ti » a été le plus joué de l’année sur Spotify : 4,5 milliards d’écoutes…
Mais qu’ont-ils tous avec Charles Aznavour, né il y a tout juste 100 ans (le 22 mai 1924, mort en 2018) ? Le rap et le hip-hop, notamment américains, ont largement puisé dans le répertoire du chanteur franco-arménien. Son titre « Parce que tu crois », écrit et composé par lui-même en 1966, est certainement davantage connu sous ses versions réarrangées par Dr Dre / Eminem (What’s the difference, 1999) et Sean Paul (Breathe, 2003). Le rappeur américain Nas, avec son groupe The Firm, a quant à lui repris la chanson « À ma fille » dans un titre de 1997 (« Firm Fiasco »). Masta Ace a adapté « Tu étais trop jolie » (1964) pour son morceau « Travelocity » (2004).
La liste est longue et n’inclut même pas les samples des artistes français (Passy, Sniper, Kery James, etc.). « Hier Encore » a aussi été incluse dans la scène finale de « Lupin 3 » avec Omar Sy. Même LeBron James, la star du basketball, s’est un jour filmé chez lui en train d’écouter Charles Aznavour, un verre de vin à la main. « Je regardais un film, dans un avion, où une chanson de lui a été diffusée, a expliqué le basketteur des Lakers lors de l’émission Clique. Elle était en fond de ce film et c’était magnifique. J’ai shazamé, et j’ai téléchargé toute sa musique et je n’ai pas arrêté de l’écouter. »
Le plus étonnant, c’est que LeBron James a surtout été séduit par la musique et l’atmosphère des morceaux de l’auteur-compositeur-interprète. « Je ne comprenais pas la langue, mais j’ai saisi le ton et la magnitude qu’il a donnée à sa musique, et c’était captivant, a-t-il expliqué. La musique elle-même avait un sens ». C’est sans doute là tout le secret de l’œuvre de Charles Aznavour, qui explique pourquoi, même un demi-siècle plus tard, à l’autre bout du monde, elle continue de résonner auprès d’une nouvelle génération qui a peu en commun avec ce fils d’immigrés arméniens né dans un hôpital pour indigents du 6e arrondissement de Paris en 1924.
Le style de sa musique a fait le reste auprès du jeune public américain. Charles Aznavour a en effet souvent fait débuter ses chansons par de grandes orchestrations symphoniques et des arrangements savants. Pour un producteur en quête d’une boucle à intégrer dans une chanson, il constitue une bibliothèque idéale.
Une filiation que n’a jamais renié Aznavour : « La chanson française a actuellement une chance fantastique : les rappeurs et les slameurs écrivent merveilleusement notre langue, a expliqué un jour le chanteur dans une émission de Michel Drucker. Cette jeunesse connaît très bien la chanson. Il y a une floraison d’auteurs compositeurs interprètes formidables. »
Aznavour devait un peu se reconnaître dans cette jeunesse critiquée pour n’être pas assez bien « comme il faut », lui dont la voix, le physique et le style avaient été raillés à ses débuts. « Je ne sais pas si j’aime le rap, avait-il aussi confié au magazine L’Affiche. Je peux juste vous dire que c’est bien d’en entendre. Parce que toute manifestation nouvelle dans l’art mène à quelque chose. Quand le jazz a débuté, on disait déjà que c’était une musique de sauvages. Lorsque les yé-yé ont débuté, on disait ‘cela ne va durer que deux jours’. Tout a toujours été comme ça. » Et 100 ans après sa naissance, on écoute -et sample- toujours Charles Aznavour.