Les prix Pulitzer 2015, tant désirés des journalistes américains, ont été annoncés ce lundi. Et parmi les heureux vainqueurs, se niche un Français du Wall Street Journal, John Carreyrou.
C’est un travail d’équipe que récompense le jury: 8 articles publiés sur plusieurs mois, signés par 7 journalistes, consacrés aux abus de Medicare (l’assurance santé publique qui couvre les Américains de plus de 65 ans). John Carreyrou était, avec le rédacteur en chef “investigations” du quotidien, Michael Siconolfi, le leader du groupe. Pour le Wall Street Journal, l’honneur est de taille: depuis le rachat par Rupert Murdoch, en 2007, la rédaction n’avait plus jamais décroché de Pulitzer (contrairement aux pages éditoriales, séparées de la rédaction et distinguées, elles, à deux reprises).
Au Wall Street Journal depuis 1999, John Carreyrou y est affecté au service investigation, après avoir notamment été correspondant au bureau de Paris. Il est le fils de Gérard Carreyrou, ancien journaliste vedette d’Europe 1 puis Directeur de l’information de TF1. De mère américaine, John Carreyrou a grandi en France, avant de venir faire ses études supérieures à Duke University.
Le prix récompense un effort de longue haleine qui a commencé en 2009. “Cette année-là, en plein débat sur la réforme du système de santé américain, nous avons voulu accéder à ces énormes données de Medicare pour contribuer au débat”, explique John Carreyrou. Mais il faudra plus d’un an d’intenses négociations avec l’administration pour obtenir une publication seulement partielle de ces données. Le Journal publie une première série d’articles qui lui vaut une place de finaliste en 2011 avant de se lancer dans un procès pour obtenir un plus large accès aux données de Medicare. Il obtiendra finalement gain de cause en 2013 avec la publication de la totalité des données de 2012 qui nourriront la série d’articles récompensée par ce Pulitzer. Les articles ont permis de mettre en lumière les abus de certains médecins et laboratoires qui ont organisé des fraudes à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars.
Un des articles signés de John Carreyrou s’intéresse par exemple à un laboratoire d’analyses créé en 2008 et qui moins de 5 ans plus tard réalisait quelque 380 millions de dollars de chiffre d’affaires. “Cette croissance était suspecte et en enquêtant il est apparu que le laboratoire reversait des commissions occultes à des médecins à travers tout le pays pour qu’ils y envoient des échantillons de sang, sur lesquels ils réalisaient des tests sytématiques sans aucun rapport avec les besoins du patient. Le tout aux frais de Medicare, donc du contribuable américain”. La publication de l’article avait conduit, en décembre, à la démission de la PDG de l’entreprise, puis le mois dernier à un accord avec le Département de la justice américain contraignant le laboratoire à rembourser 50 millions de dollars.
Le Wall Street Journal partage le prix du journalisme d’investigation avec le New York Times pour une série d’articles d’Eric Lipton sur l’explosion du lobbying auprès des “Attorney General” des Etats américains. Le prix le plus prestigieux, celui du “Service public” va à la petite rédaction du Post and Courier de Charleston (Caroline du Sud), pour une série sur les violences contre les femmes dans l’Etat. La liste complète des lauréats, en journalisme (14 prix en tout), en littérature et en musique est ici.