Petite moustache, cheveux mi-long, lunettes et tenue décontracté, Jérôme Rota a le look de l’informaticien, ou plutôt, du “geek”, comme on dit aux Etats-Unis. Et de fait, ce Montpelliérain de 34 ans a un ordinateur entre les mains depuis l’âge de huit ans. Mais derrière l’homme fluet à l’accent du sud inimitable se cache l’inventeur du DivX, une technologie de compression vidéo qui a radicalement changé la consommation de films sur Internet à partir de l’an 2000.
Tout est parti d’une période galère où le jeune homme était en recherche d’emploi. Après des études d’électronique-informatique industrielle, “qui ne me plaisaient pas trop”, l’étudiant se décide pour des cours d’histoire de l’art à la fac. Au final et après un parcours hétéroclite, Jérôme Rota se retrouve à travailler dans la production audiovisuelle à faire des effets spéciaux. Il réussit à allier ses deux passions de l’informatique et de la création.
“Etant intermittent du spectacle, il fallait constamment que je montre mes réalisations pour trouver du travail”, explique-t-il, “mais tout ça, c’est avant l’ère des DVD et des graveurs, j’avais le choix entre la VHS – pas l’idéal niveau qualité – et d’autres formats très chers comme le Betamax”. Il se frotte alors au code et trouve un format idéal qui permet de compresser la vidéo sans perdre en qualité.
C’est en 1999 que Jérôme Rota invente le DivX en modifiant un système de compression développé à l’époque par Microsoft, le MPEG-4. Mais le géant informatique ne tarde pas à réaliser la vulnérabilité de son codec et y place rapidement des systèmes de protection afin d’en limiter son utilisation. Il en faut plus pour décourager Jérôme Rota, qui passe des soirées afin de résoudre l’équation qui donnera naissance au DivX.
Le DivX est à la vidéo ce que le mp3 est à la musique. C’est grâce au DivX que l’on peut aujourd’hui télécharger des séries sur le Net dans une qualité irréprochable. Grâce à lui encore que les internautes s’échangent des films sur des réseaux peer-to-peer ou les transportent dans leur petite clé USB. “Là où ça a vraiment décollé, c’est quand quelqu’un a découvert comment copier les contenus des DVD, ensuite, le format DivX a permis de les faire circuler très rapidement sur le net”, souligne-t-il.
Jérôme Rota devient en l’espace de quelques mois un véritable héros dans le monde souterrain des sites de peer-to-peer. Mais il conserve son anonymat et se fait appeler “Gej” dans les forums de discussion, “un surnom qui veut dire “fou fou” en occitan”, sourit-il, “tout le monde avait des nicknames à l’époque.” La vague DivX ne tarde pas à arriver jusqu’aux oreilles d’un entrepreneur américain qui débauche Jérôme de son Languedoc-Roussillon natal.
A l’été 2000, le jeune homme de 24 ans raccroche sa veste d’intermittent du spectacle et s’envole pour les Etats-Unis. Il fonde avec l’ancien vice-président de mp3.com Jordan Greenhall l’entreprise DivXNetworks à San Diego en Californie. “Je n’avais pas particulièrement envie d’aller vivre aux Etats-Unis”, indique-t-il, “mais les choses se sont faites comme ça, et ici tout va plus vite”. Un article sur DivX publié dans le Wall Street Journal attire l’attention des Etats-Unis sur la start-up qui n’a pas de difficultés à récolter des fonds.
L’objectif est alors de se débarrasser de la réputation sulfureuse d’une technologie encourageant la duplication pirate de films. “Je savais dès le début qu’il n’y aurait pas de business model si DivX était basé sur le piratage”, acquiesce d’ailleurs Jérôme Rota, qui travaille d’arrache-pied pour amadouer les studios hollywoodiens. Fort d’une base importante d’utilisateurs à travers le monde, Jérôme Rota base la stratégie de son entreprise sur le “licensing” : il conclut des accords commerciaux avec les grandes entreprises d’électronique. Aujourd’hui, 94% des lecteurs de DVD sont capables de lire les formats DivX, et cela a fait de Jérôme Rota un homme riche. Son entreprise frôle en 2008 les 80 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Aujourd’hui, l’avenir du DivX passe par Hollywood, qui avait d’abord tenté d’éliminer ce gêneur en le menaçant de procès. DivXNetworks souhaite devenir le fournisseur technologique des diffuseurs de vidéo à la demande, qui seraient protégés par des verrous anti-piratage grâce à la septième version du DivX. Mais ce défi sera relevé par d’autres puisque Jérôme Rota tourne désormais la page. “Après 10 ans, il était temps de passer à autre chose”, reconnait-il. DivX vient d’être racheté en juin, pour plus de 300 millions de dollars par Sonic Solutions, une entreprise de la Silicon Valley. Quant à Jérome, il a déjà trouvé sa place au sein d’une nouvelle start-up dans le domaine de l’informatique décisionnelle. “J’adore cette atmosphère pleine d’enthousiasme et d’idées inhérente aux start-ups”, se réjouit-il, ravivé par ce nouveau départ.