Asterix et Obélix sont de retour dans les bacs, après huit ans d’absence. C’est en Californie que les irréductibles Gaulois ont miraculeusement ressuscité sous le pinceau de Didier Conrad, successeur d’Albert Uderzo, 86 ans, qui avait annoncé sa retraite en 2011.
Embauché par les studios Dreamworks en 1996 pour travailler sur le film d’animation « La Route d’Eldorado », le dessinateur marseillais vit depuis 17 ans à Los Angeles avec sa famille. «Après la fin de ma collaboration avec Dreamworks, nous avons décidé de rester. La grisaille de Paris et de Bruxelles, j’ai toujours trouvé ça déprimant !». C’est donc dans son atelier de Pasadena qu’il a réalisé l’intégralité des planches d’Astérix chez les Pictes, 35e opus des aventures du petit Gaulois créé par René Goscinny (décédé en 1977) et Albert Uderzo.
« Jean-Yves Ferri (ndlr : le scénariste) travaillait sur l’album depuis deux ans, quand les éditions Albert René m’ont demandé de faire des tests : ils avaient d’abord commencé à travailler avec l’encreur d’Uderzo, Frédéric Mébarki, qui collaborait avec lui depuis 30 ans. Mais Mébarki n’avait jamais fait de mise en page». Celui-ci jette donc l’éponge et ce sont finalement les tests de Conrad qui sont sélectionnés.
6 mois pour réaliser un travail de 9 mois
« J’avais déjà fait des spin-off » explique Didier Conrad, qui a notamment réalisé les Marsu Kids, une série dérivée du Marsupilami, créé à l’origine par son « maître », André Franquin. Mais faire revivre une B.D aussi mythique qu’Astérix, n’était pas une mince affaire. « C’est compliqué : il faut à la fois dessiner dans le même style qu’Uderzo tout en réinventant des situations nouvelles que lui-même n’a jamais dessiné ! ». Le tout en respectant un timing très serré : «Comme le projet avait pris beaucoup de retard, on m’a donné 6 mois pour réaliser un projet qu’Uderzo aurait réalisé en 9 mois minimum ! A la fin, j’ai dû faire plusieurs nuits blanches pour arriver à tout terminer».
Difficile aussi de reproduire une potion magique sans en connaître précisément la recette : « Le problème avec Astérix, c’est que personne ne sait vraiment comment ça se fabrique: Goscinny est aujourd’hui décédé et Uderzo est avant tout un instinctif. Jean-Yves et moi n’avions pas le droit à l’erreur ! ».
Malgré des problèmes à la main qui l’empêchent de dessiner, le papa d’Astérix et Obélix a toutefois tenu à superviser de près le dernier tome. «Pour lui, c’est difficile, c’est un peu comme son bébé. Il me faisait passer des commentaires et des critiques par l’intermédiaire de son graphiste en qui il a entièrement confiance. Au début, je travaillais assez lentement car je devais m’habituer au dessin. Uderzo percevait des petits détails qu’il est le seul à pouvoir remarquer. Pour lui, tout cela est viscéral ! Et puis petit à petit, j’ai eu de moins en moins besoin de corriger mes dessins. Au final, je n’ai rencontré Uderzo qu’une fois le travail terminé ! Et il était content du résultat».
L’avantage du décalage horaire
Conrad doit également prendre en compte un découpage du scénario très contraignant, qui a déjà été très préparé pour aider Mébarki. « J’ai aussi l’habitude de travailler côte à côte avec ma femme Sophie (alias Wilbur avec laquelle il a notamment réalisé Tigresse Blanche, les Marsu Kids ou encore Raj). Du coup le travail à distance avec Ferri était une dynamique très différente ». Mais au final, le décalage horaire a aussi été un réel avantage : «les 9 heures de différence entre la France et la Californie me permettaient de gagner une journée de travail, ce qui était plutôt pratique vus les délais».
Conrad a travaillé sur papier avec un pinceau spécial qu’utilisait Uderzo, afin de reproduire le même trait. « Je scannais ensuite les dessins et faisais les retouches nécessaires à la palette graphique. J’envoyais mon travail par mail toutes les 4 à 6 pages ».
Conrad aime dessiner depuis son plus jeune âge. A 14 ans, l’une de ses planches est publiée dans la rubrique Carte Blanche du Journal de Spirou. «La Bande Dessinée à l’adolescence est quelque chose qui m’a permis de me définir, à un âge où l’on se cherche. J’ai appris sur le tas. A l’époque, c’était comme ça, il n’y avait pas d’école», explique-t-il.
Près de 330 000 exemplaires écoulés en 4 jours
Quid d’Astérix aux Etats-Unis ? «La Bande Dessinée de manière générale y est beaucoup moins populaire qu’en France. Ce n’est pas le même public. Quant à Astérix, ce n’est pas très connu. Il n’y aura probablement pas vraiment de promo, ni d’édition américaine. Il n’existe qu’une version en langue anglaise pour l’instant. Mais d’un côté, c’est bien : je reviens d’une longue promo en France où la B.D a démarré très fort (ndlr : près de 330 000 exemplaires écoulés 4 jours après sa sortie). Du coup, maintenant je peux goûter à un peu de tranquillité de ce côté-là !».
Ce qui ne l’a toutefois pas empêché de reprendre ses crayons : Didier Conrad a déjà commencé à travailler sur le 36e album des aventures d’Astérix, avec son nouveau camarade de jeu, Jean-Yves Ferri. « L’idée est de faire un bouquin tous les 2 ans. Nous allons avoir un peu plus de temps pour en discuter ce qui sera plus agréable». La sortie de l’album est déjà prévue pour le 24 octobre 2015.