“Une amie française m’a appellée. J’ai compris que c’était catastrophique” . Ce 13 novembre, au moment des attentats terroristes de Paris, Hélène Godec regardait ses enfants de 5 et 8 ans jouer tranquillement avec d’autres.
Secouée, cette Française de New York, enseignante à Fordham University, a choisi de ne rien montrer, même si des amis logeaient dans son appartement parisien “entre le Bataclan et le Carillon” au moment des attaques. Sitôt le groupe parti, “j’ai fait du Skype jusqu’à 2h du matin. Je n’ai pas culpabilisé de ne pas être là, mais j’avais un vrai manque de ne pas être avec mes proches en France.”
Les moments de drames nationaux, comme ceux que la France a vécus en janvier et en novembre, renvoient chaque expatrié face à une contradiction: il a voulu quitter la France, s’affranchir parfois de ses racines, mais ne supporte pas d’en être loin dans les moments difficiles.
Rapport à la mort
Plus d’une semaine après les faits, les témoignages de Français de l’étranger continuent de sortir dans la presse et sur les réseaux sociaux. Libération a publié, jeudi 18 novembre, une série de textes envoyés par Français des quatre coins de la planète. Elle fait suite à la publication dans Slate d’un témoignage intitulé “Etre Français, souffrir de loin” signé d’une Française de Hong Kong.
Aux Etats-Unis, la life coach pour expatriés Magdalena Zilveti Chaland, auteure de Réussir sa vie d’expat, a mis “trois jours” à publier le sien, sur son blog. “J’avais du mal à trouver les mots” , avoue-t-elle. “L’éloignement permet d’avoir une distance, de se sentir protégé. Mais en même temps, cela provoque un sentiment de culpabilité car la famille est là-bas et on ne peut rien faire” , explique-t-elle.
Plus fondamentalement, la mort renvoie l’expatrié face à sa décision de partir, de quitter ses proches, d’affirmer sa liberté. Comment continuer à vivre sa vie d’expatrié “quand le chaos existe là où nous aurions pu -dû- être” s’interroge-t-elle. “Lorsque quelqu’un de la famille tombe malade, on ressent la culpabilité d’être loin, de ne pas accompagner ceux qui supportent la maladie (…) Dans des situations de drames collectifs, on se rapproche d’autres citoyens francophones. On se regroupe, on communique plus. L’expérience se vit à plusieurs. On peut être soutenu collectivement.”
Troubles du sommeil, agitation…
Les recherches sur l’impact d’évènements traumatiques, comme le 11-Septembre ou les guerres, ont montré que la distance n’empêchait pas d’être affecté par des troubles psychologiques. Une étude de 2003 de la chercheuse américaine Anne Speckhard sur des expatriés américains en Belgique dans les dix semaines après le 11-Septembre a montré que 10% d’entre eux affichaient des signes de stress post-traumatique juste après les attentats. 20% d’entre eux se disaient atteints de quatre troubles dissociatifs – déni de réalité, déconcentration, amnésie partielle, engourdissement – parfois au-delà de la première semaine.
“J’ai été surprise de voir à l’ampleur de leur traumatisme, avoue la chercheuse. Si vous continuez à avoir des cauchemars, que vous ne pouvez pas vous concentrer ou que vous vous sentez nerveux, il faut aller voir quelqu’un. Si vous ne faites qu’y penser, c’est normal et les effets se dissiperont avec le temps” .
En parler aux enfants
Tout le monde n’est pas égal face aux traumatismes. Ceux qui en ont connu dans le passé peuvent développer des symptômes plus aigus. Les enfants aussi sont particulièrement vulnérables. Pour les aider à comprendre l’insensé, le magazine Astrapi publié une édition spéciale en téléchargement gratuit. Les écoles américaines, elles, ont adopté différentes postures. Lundi, le journal The Independent rapportait que certaines écoles élémentaires avaient décidé de ne pas parler des attentats estimant que les élèves étaient trop jeunes. D’autres ont respecté une minute de silence et ont décidé d’en parler uniquement si les élèves posaient des questions ou manifestaient des inquiétudes.
“Pour les enfants, la meilleure approche post-traumatisme est de revenir à un emploi du temps normal et faire tout pour leur assurer qu’ils sont en sécurité. La réaction des enfants dépendra en grande partie des réactions des adultes” souligne Nancy Boyd-Webb, spécialiste du traumatisme chez les enfants.
Décalage
Avec le temps, les effets du traumatisme s’estomperont. La vie reprendra le dessus. Dans le groupe d’expatriés étudié par Anne Speckhard, le refus de parler du 11-Septembre était le symptôme le plus partagé à la fin de la période d’étude de dix semaines.
Certains expatriés auront peut-être envie de rentrer en France. “La distance amplifie l’émotion dans ces moments-là. Tu n’as pas peur pour toi, tu as peur pour tes amis, pour tes proches, ajoute Hélène Godec. J’ai beaucoup de discussions avec des mamans en France. J’ai dit à une amie que le message qui passait ici était que l’école est en sécurité. Sa réaction: ‘mais comment peut-on dire ça!’. Je comprends son émotion. Parfois, tu essayes de dire aux amis en France qu’on comprend, qu’on pense à eux, mais on n’est pas à leur place. Ça peut créer un décalage. J’ai posté sur Facebook une image de la Freedom Tower en bleu-blanc-rouge. C’est anecdotique” .